Evolution et tendance du droit du risque 1/2

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Dans son rapport annuel, la Cour de cassation consacre son dossier central à l'étude du risque. Pour vous éviter une lecture certes passionnante mais cependant fastidieuse, nous vous offrons ici une synthèse des principales idées développées : les manières dont le droit aborde le risque et les évolutions qu'il connaît.

Aujourd'hui le concept de risque, tel qu'il est abordé par le droit a pour dénominateur commun la volonté de corriger les déséquilibres engendrés par la survenance de l'événement redouté. Et ce dans un contexte où la société est demandeuse de sécurité. Dès lors, les principales questions de droit qui se posent sont celles de l'attribution de la charge : à qui revient-il de réparer, dédommager le risque qui s'est réalisé ? A cette question le droit répond de plusieurs manières que nous allons détailler ci-après. Cependant, plus récemment, l'apparition de dommages (liés aux risques majeurs notamment) a trouvé ses limites et le droit s'est donc aussi emparé des problématiques de prévention du risque avant de s'attaquer même à la notion de précaution.

De l'origine du risque

Sylvain Piron, linguiste, relève que dès son origine, le terme de risque a été lié à un mode actif : ainsi, il se rapporte à un événement futur possible mais contrairement à l'aléa ou au danger, il implique que l'on anticipe les conséquences éventuelles de sa survenue, sous la forme de dommages possibles. Dès lors, il est lié à un coefficient de probabilité et suppose que l'on trouve un acteur en assumant la charge.

Risque et sécurité : deux concepts interdépendants

 

La sécurité est devenue une exigence, tant d'un point de vue personnel que collectif. et pour assurer celle-ci quoi de plus normal que de travailler sur le risque... Le droit qui participe pleinement à la régulation de la vie sociale s'est donc très tôt saisi du deuxième pour contribuer à la première. Cependant, on voit que si "le risque est omniprésent dans la norme juridique, la notion y est polymorphe et le vocable polysémique."

 

 

il y a déjà 4000 ans...

"Le risque pénètre la règle de droit dès l'aube des temps juridiques. Voici près de quatre mille ans, il loge dans plusieurs dispositions du Code d'Hammurabi. Ainsi l'« article » 48 de ce recueil prévoit-il que, "si quelqu'un a une dette et si le dieu Adad a noyé son terrain, ou bien si une crue l'a emporté, ou bien si, faute d'eau, de l'orge n'a pas été produite sur le terrain, en cette année là il ne rendra pas d'orge à son créancier et […] donc ne livrera pas l'intérêt dû pour cette année-là".

De l'attribution des charges

Le déplacement de la charge du risque

Très tôt, le droit a déplacé la charge du risque. C'est-à-dire qu'au lieu que ce soit la victime qui ait à payer pour le risque, le droit a décidé que c'était un autre acteur. Ce déplacement peut avoir lieu de manière contractuelle entre plusieurs individus et est donc décidé a priori, soit le risque sera assumé par une analyse des responsabilités, a posteriori. La troisième technique consiste à mutualiser la charge entre plusieurs individus.

L'évolution de la notion de responsabilité

La responsabilité détermine les règles selon lesquelles s'opère le déplacement de la charge d'un risque qui s'est réalisé. Car même si la responsabilité peut représenter un instrument de dissuasion (par la crainte de sa mise en oeuvre), elle reste avant tout réparatrice. Depuis l'avènement du code civil, le principe général de la responsabilité est fondé sur la faute (article 1382). Cette responsabilité subjective s'appuie sur l'analyse du comportement de l'auteur du dommage. Les autres textes ayant du coup pour finalité de limiter les hypothèses où la responsabilité peut être engagée. Cependant, cette approche a rapidement montré ces limites et à la fin du XIX", début du XXe, d'autres approches sont proposées à partir de ce qu'on appelle les théories du risque : il s'agit dès lors de la mise en place d'un droit de la responsabilité qui se transforme pour partie en un droit de la réparation et de son financement. On parle alors de responsabilité objective et on déplace la charge du risque pour la faire peser sur celui qui a créé le risque ou sur celui qui en profite. L'indemnisation est la finalité et l'analyse ne se fait plus sur "le comportement mais sur une constatation matérielle : est responsable celui qui est objectivement à l'origine du dommage". Ainsi, de plus en plus de régimes autonomes de responsabilité voient le jour (responsabilité en matière d'accidents de la circulation - 1985 ; responsabilité du fait de produits défectueux - 1998 ; responsabilité des professionnels de santé - 2002) pour lesquels la préoccupation d'indemnisation prend le pas sur la question de l'imputation.

Le cas des accidents du travail

"La théorie du risque a directement inspiré le législateur adoptant certains régimes spéciaux de responsabilité. Tel a été le cas dès 1898 avec la loi du 9 avril sur les accidents du travail – à propos de laquelle un auteur parle à juste titre de « passage d'une gestion individuelle de la faute à une gestion socialisée du risque». L'évolution plus tard vers une obligation de sécurité de résultat orientera alors le droit vers la prévention du risque (voir plus loin).

La répartition de la charge du risque

La seconde technique envisagée par le droit et la pratique est celle de la mutualisation de la charge du risque entre des individus en nombre suffisant pour l'amortir. C'est le principe même des mutuelles et des assurances : si juridiquement c'est l'assurance qui supporte le poids du risque, économiquement, il est réparti au sein de l'ensemble des co-contractants de l'assureur. Avec l'essor des assurances, il a fallu attribué un prix à la sécurité. Il s'établit par des calculs de probabilité et par l'évaluation pécuniaire des dommages prévus. C'est très clairement par ce biais que le risque a reçu directement une valeur économique.

L'extension vers le principe de solidarité nationale

La constitution de 1958 proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. Cette répartition des charges est ainsi devenue un principe général d'action publique devant guider le législateur et qui s'est concrétisé par la mise en place de plusieurs systèmes : celui de la sécurité sociale bien sûr mais aussi tous ceux liés à un fonds d'indemnisation spécifique ou parfois même déconnectée de toute cotisation ou prélèvement dédié. Mais cette socialisation du risque, note le Pr. Jacques Moury dans l'avant propos de la Cour de cassation, "s'est accompagnée d'un déclin sensible de la responsabilité individuelle".

La notion de risque juridique

En 2006, le Conseil d'Etat dénonçait un trop grande nombre de lois ni claires, ni stables. Créant de l'insécurité juridique. D'ailleurs, la place occupée depuis quelques décennies dans l'appareil législatif par la prévention puis par la précaution a contribué objectivement – notamment avec la transposition des directives européennes dans l'ordre interne – à une prolifération de la règle de droit dans des domaines où sa présence était jusqu'alors moins prégnante, tels l'environnement, bien entendu, mais aussi la santé. Une prolifération source d'instabilité et de complexité.

Attention toutefois, le "risque juridique" connaît deux acceptions courantes : d'une part les "faux risques" où la notion de risque juridique recouvre alors simplement la crainte de la sanction prévue par la règle de droit. Cela ne relève en fait pas du risque mais juste d'effets normaux et prévisibles de cette règle. D'autre part, il y a les conséquences d'une modification de la règle en raison d'un revirement de la jurisprudence notamment. Car le propre d'une règle jurisprudentielle est d'être par elle-même rétroactive. Lorsqu'une nouvelle règle est créée par la jurisprudence, celle-ci s'applique à des faits qui lui sont antérieurs. Cela dit, le désagrément ou le dommage éprouvé par le plaideur est le fruit d'un événement qui n'est pas accidentel mais s'inscrit dans le cadre du fonctionnement normal de l'institution judiciaire.

Lire la seconde partie de l'article...

Auteur : Par Sophie Hoguin, actuEL-HSE.

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