Evolution et tendance du droit du risque 2/2

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Vers un droit de la prévention du risque

L'avènement de la société du risque

Cependant, à l'ère techno-scientifique actuelle, responsabilité, assurances et fonds d'indemnisation peuvent se révéler insuffisants, voire impuissants, pour faire face à l'ampleur des dommages susceptibles d'être causés par les nouvelles technologies. Il n'est plus alors question de savoir à qui incomberait une réparation sans commune mesure avec les capacités des mécanismes classiques d'indemnisation. Et les dangers liés au fonctionnement des installations classées sont une réalité tangible qui illustrent cette problématique. Sociologues et autres penseurs estiment alors que "la notion de risque devient le concept politique et scientifique fondamental, propre à nos sociétés". Dès lors, le risque doit être prévenu et cela fabrique de nouvelles constructions de savoirs, de pratiques et de nouvelles exigences éthiques, comme celle du principe de précaution".

L'émergence de la notion de responsabilité préventive

Paradoxalement, on voit alors revenir en force l'imputation de la responsabilité. Mais cette fois, il ne s'agit plus d'une responsabilité qui sera mise en oeuvre une fois le dommage réalisé à des fins curatives mais d'une responsabilité dans la prévention du dommage par l'obligation de faire pour éviter les événements redoutés. C'est l'avènement d'une responsabilité préventive.

Le management du risque

Pour qu'il y ait prévention, il faut qu'il y ait connaissance du risque : causes possibles de l'événement et dommages possibles de l'événement. C'est la partie évaluation du risque, préalable indispensable à la mise en place d'actions de prévention. Le tout finissant par créer ce que l'on appelle aujourd'hui le management du risque. En droit du travail par exemple, cela donne l'exigence d'une culture de prévention nationale où "le gouvernement, les employeurs et les travailleurs s'emploient activement à assurer un milieu de travail sûr et salubre au moyen d'un système de droits, de responsabilités et d'obligations définis et où le principe de prévention se voit accorder la plus haute priorité » (Convention C 187 de l'organisation internationale du travail). ou encore dans notre code du travail (article L. 4121-2) où l'employeur est invité à "combattre les risques à la source".

Seveso, illustration du droit de la prévention

Une étape importante en matière de prévention a été marquée par l'adoption des Règlements européens Seveso I le 24 juin 1982, imposant aux industriels l'évaluation des risques que leurs installations sont susceptibles de présenter et subséquemment leur réduction par des mesures techniques appropriées, puis le 9 décembre 1996 Seveso II, renforçant ces moyens de prévention et d'inspection.

Responsabilité à finalité préventive : le retour de la faute

Avec la mise en oeuvre des principes de prévention, le droit a vu la faute revenir sur le devant de la scène. La faute consistant dans la méconnaissance d'une norme préventive. Ce qui a rendu d'ailleurs plus aisée l'indemnisation des conséquences du risque réalisé. Le mouvement s'observe également en droit public : le Conseil d'État a récemment retenu la responsabilité pour faute de l'État pour carence dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.

On voit alors des obligations de sécurité, d'information, de prudence ou de vigilance venir déplacer la charge d'un risque sur l'employeur (obligation de sécurité de résultat) ou sur le banquier (pour les crédits excessifs) par exemple.

Le risque devient lui-même indemnisable

Le principe selon lequel seul un dommage réel peut donner lieu à réparation s'est infléchi. La jurisprudence admet désormais que le risque lui-même peut être indemnisable, indépendamment de sa réalisation. Plusieurs cas peuvent illustrer cette nouveauté : En premier lieu, il a été jugé sur le fondement de la théorie des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage que le risque peut créer une menace dont l'existence cause en elle-même un préjudice, menace par exemple de projections de balles de golf sur un fonds situé à proximité d'un parcours, ou d'incendie due à la proximité d'un tas de paille.

En deuxième lieu, le fait de ne pas prendre les mesures de nature à prévenir la réalisation d'un risque peut s'analyser en une négligence engageant la responsabilité de son auteur et le coût des travaux ayant dû, en raison de son inertie, être exécutés pour mettre matériellement fin à une situation porteuse de risques constitue alors un dommage réparable.

Enfin et surtout, est désormais admise la réparation du préjudice consistant dans l'angoisse éprouvée en raison de l'exposition à un risque. La réalisation du risque peut être certaine, le préjudice ici réparé n'est pas pour autant le préjudice futur, dont il est distinct : le 11 mai 2010, la chambre sociale a approuvé les juges du fond d'avoir décidé que « les salariés […] se trouvaient par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse », et « ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété".

Du droit de la prévention à celui de la précaution

Risque zéro, peurs et précaution

La société contemporaine aspire au « risque zéro » cependant que la progression exponentielle des technologies n'a jamais engendré autant de risques majeurs, connus ou confusément redoutés, et, partant, de peurs. Il s'agit donc, dépassant la prévention qui n'a ici plus de prise, d'anticiper ces derniers, d'« ouvrir un nouvel imaginaire de la vulnérabilité ». Est ainsi venu le temps de la précaution. Cette approche du risque est là encore marquée par le retour d'une responsabilité reposant sur un fondement subjectif. Surtout, il s'agit d'une responsabilité à l'égard non seulement de possibles victimes dans un avenir immédiat, mais encore des générations futures. D'où, cette considération se conjuguant avec le caractère irrémédiable des conséquences de certains de ces risques, la place qu'occupe aujourd'hui la précaution dans les politiques environnementale et de santé.

L'introduction du principe de précaution

Le principe de précaution, a été en France, tout d'abord perçu comme lié à la responsabilité de l'Etat, car il apparaît dans le droit positif après l'affaire du sang contaminé avec la loi n° 95-101 du 2 février 1995. L'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui est une reprise, augmentée, de l'article L. 200-1 du code rural tel que modifié par cette loi, fait référence, dans une formulation proche de la Déclaration de Rio, au « principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable». Ce principe connaît ensuite la consécration suprême puisqu'il est ajouté à la Constitution en 2005 par la voie de la Charte de l'environnement où il prend la forme suivante : « lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Limites et excès du principe de précaution

Il faut bien comprendre que le principe de précaution dans la Constitution française est un principe d'incitation législative. Il relève d'une politique d'orientation législative, et ne saurait être regardé comme une règle stricto sensu – et sans doute pas davantage comme un principe général du droit, auquel manquerait singulièrement la généralité qui caractérise ces principes. Il ne constitue dans sa formulation constitutionnelle qu'une incitation à l'adresse des autorités publiques. Une mise en oeuvre sans mesure de la précaution peut amener des effets pervers importants : « La précaution encourage une sorte de prolifération indéfinie des risques, réels ou supposés ; elle les multiplie. Toute activité se trouvant progressivement dédoublée par les risques qui l'accompagnent. Ainsi, par précaution, nous nous condamnons à vivre dans un univers toujours plus marqué par le risque. » En outre, "l'emprise croissante du risque sur les sociétés contemporaines avancées et la politique de précaution qui lui fait cortège tendent naturellement à en faire des sociétés de contrôle. Et l'immédiateté des mesures à prendre pour faire face à un risque perçu comme omniprésent est de nature à faire craindre, une sorte d'état d'exception permanent, tant il est vrai que les mesures d'urgence ne sont guère propices aux libertés.", insiste Jacques Moury.

Documents joints : Le rapport de la Cour

Auteur : Par Sophie Hoguin, actuEL-HSE.

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