Les troubles et comportements addictifs dans le milieu professionnel présentent un risque important pour les travailleurs et pour l'entreprise. Dans ce guide complet, découvrez comment mettre en place une démarche de prévention ainsi que les obligations réglementaires en matière de lutte contre les addictions en entreprise.
Addictions en milieu professionnel : définition et enjeux
Les troubles et comportements addictifs se définissent par une consommation excessive et problématique de substances psychoactives. Parmi ces substances, on trouve le plus fréquemment l'alcool, le tabac, le cannabis, les médicaments psychotropes, voire la cocaïne, etc.
On parle de consommation problématique lorsque celle-ci dépasse l'usage dit “normal” et se transforme en un usage nocif ou en dépendance.
La dépendance se caractérise par l'usage répété, généralement quotidien, de la substance et s'accompagne d'une impossibilité pour l'individu de réprimer sa consommation.
L'usage nocif et la dépendance ont un impact direct sur la santé physique et morale de l'individu et parfois même sur sa situation sociale.
Les travailleurs victimes de ces troubles présentent un risque pour eux-mêmes, pour les autres travailleurs et pour l'entreprise. Ainsi, l'employeur doit mettre en place une prévention efficace pour la gestion et contre l'apparition de ces troubles et comportements chez ses salariés.
Quel lien entre le travail et les comportements addictifs ?
La consommation de substance psychoactives dépend de plusieurs facteurs :
- les facteurs de risque personnels ;
- les facteurs de risque liés à l'environnement ;
- les facteurs de risque liés à la substance psychoactive consommée.
Le milieu professionnel, la nature de l'activité et les conditions de travail peuvent être des facteurs de risque supplémentaires à la survenue d'une addiction. Ces facteurs entrent dans la catégorie des facteurs liés à l'environnement de l'individu.
On distingue deux types de consommations liées au travail :
- la consommation dans le cadre professionnel (pots, repas d'affaires, séminaires, salons, etc.) ;
- la consommation pour compenser des conditions de travail défavorables (stress, travail en horaires atypiques, tâches répétitives, conditions de travail dégradantes, etc.).
Documentation: N'hésitez pas à consulter la brochure de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur les conduites addictives.
Quels sont les risques liés aux addictions dans le cadre professionnel ?
La consommation d'alcool ou de drogue, quelle qu'elle soit, présente un risque pour la santé physique et morale de l'individu.
À titre d'exemple, selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), sans parler des troubles cognitifs et de son grave impact sur le foie, “la consommation d'alcool contribue de façon directe ou indirecte à 11 % des décès masculins et à 4 % des décès féminins en France” soit 41 000 décès chaque année.
La consommation de tabac serait quant à elle responsable de plus de 8 cancers du poumon sur 10 selon la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM).
Au-delà de son impact direct sur la santé des individus, la consommation de substances psychoactives provoque une baisse de vigilance et de concentration et peut donc être à l'origine de comportements dangereux.
Cette situation est particulièrement préoccupante dans le milieu professionnel qui requiert toute la concentration des travailleurs et d'autant plus lorsque le poste de travail est dangereux par nature (utilisation d'équipements dangereux, travail en hauteur, conduite d'un train, etc.).
Notez-le: Selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, “le cannabis est associé à la survenue d'environ 4 % des accidents mortels, l'alcool pour sa part à 28 %”.
Quels sont les enjeux du risque d'addiction dans le milieu professionnel ?
En France, la consommation de substances psychoactives est un problème de santé publique. En effet, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), 86 % de la population entre 17 et 75 ans déclare avoir consommé de l'alcool dans l'année et 27 % de la population des 18 à 75 ans consomme du tabac quotidiennement.
Toujours selon l'OFDT, 10% de la population consomme de l'alcool de façon quotidienne et 10,6 % consomme du cannabis également de façon quotidienne.
Cette consommation quotidienne est plus problématique et peut être en lien avec l'activité professionnelle ou avoir un impact sur celle-ci.
Si l'enjeu de la consommation de substances psychoactives sur la santé et la sécurité des travailleurs est clairement établi, celui de son impact général sur l'entreprise est plus délicat à cerner. Néanmoins, les comportements addictifs peuvent provoquer une baisse de productivité, des agissements agressifs ou encore participer à une mauvaise ambiance de travail, etc.
Par ailleurs, en raison de leur impact social et moral, les conduites addictives peuvent augmenter le risque de perte d'emploi à court et moyen terme.
Documentation: N'hésitez pas à consulter la brochure de l'INRS “Prévenir les pratiques addictives dans le cadre professionnel”.
Quelles sont les obligations réglementaires pour prévenir les addictions en entreprise ?
Au regard des chiffres énoncés plus haut, les troubles et comportements addictifs font partie des risques professionnels auxquels les travailleurs sont susceptibles d'être exposés.
Ainsi, l'employeur a l'obligation de mettre en place une démarche de prévention des risques liés aux addictions (Article L4121-1 C.Trav.).
Néanmoins, la prévention de ces risques relève aussi de la responsabilité des salariés. En effet, il incombe à chaque travailleur de respecter les règles et interdictions relatives à la vie dans l'entreprise, notamment concernant la consommation d'alcool ou de drogue (Article L4122-1 C.Trav.).
Pour cette raison, l'employeur doit mentionner dans le règlement intérieur de l'entreprise les conditions et interdictions en matière de consommation d'alcool et de toute autre substance psychoactive (Article L1321-1 C.Trav.).
Notez-le: Le règlement intérieur est obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés (Article L1311-2 C.Trav.).
Évaluation des risques
Conformément aux principes généraux de prévention des risques professionnels, l'employeur doit évaluer les risques d'addiction auxquels ses salariés sont exposés (Article L4121-2 C.Trav.).
Les résultats de cette évaluation doivent être inscrits dans le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) (Article L4121-3-1 C.Trav.).
Focus: Le comité social et économique (CSE), composé en partie par des salariés de l'entreprise, dispose d'attributions en matière de santé sécurité au travail (SST) et peut ainsi jouer un rôle dans la prévention du risque d'addiction, notamment par la promotion de la santé et de la sécurité au travail et par le biais de ses différentes consultations en la matière (Article L2312-5 C.Trav.).
D'une part, l'évaluation du risque d'addiction repose sur l'identification des postes à risque :
- les postes et situations de travail qui exposent les travailleurs à la consommation d'alcool dans le milieu professionnel (commercial, pots, repas d'affaires et signature de contrat, barman, etc.) ;
- les postes et situations de travail qui favorisent la consommation d'alcool (stress, travail éprouvant, port de charges, postures contraignantes, horaires atypiques, etc.) ;
- les postes et situations de travail qui peuvent favoriser les risques psychosociaux (RPS) ;
- les postes et situations de travail à risque particulier et pour lesquels la consommation de substance psychoactive multiplie le risque d'accidents professionnels graves (routiers, déplacements professionnels, manipulation de substances dangereuses, poste à responsabilité, utilisation d'équipements de travail dangereux, etc.) ;
- etc.
D'autre part, l'évaluation des risques professionnels repose sur le constat des données relatives à la santé des salariés :
- avis du médecin du travail ;
- données du service de prévention et de santé au travail ;
- avis du CSE ;
- antécédent des accidents et troubles du comportements liés à la consommation de substance psychoactives ;
- etc.
Notez-le: Il existe un lien évident entre les risques psychosociaux et la consommation de drogues. Ainsi, les entreprises sujettes aux RPS doivent redoubler d'efforts sur la prévention en la matière.
Obligation de prévention contre la consommation d'alcool
Il est interdit de consommer ou de conserver une boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré sur le lieu de travail (Article R4228-20 C.Trav.).
Attention : L'employeur est obligé de mettre à disposition au moins une boisson non alcoolisée “lorsque des conditions particulières de travail conduisent les travailleurs à se désaltérer fréquemment” (Article R4225-3 C.Trav.).
Pour garantir la bonne application de cette disposition, l'employeur doit prévoir dans le règlement intérieur ou par note de service la limitation voire l'interdiction de la consommation d'alcool.
Par ailleurs, il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d'ivresse (Article R4228-21 C.Trav.).
Ainsi, face à un salarié en état d'ivresse, il est nécessaire que l'employeur ou les responsables l'isolent ou le fassent raccompagner chez lui. Le salarié ne doit en aucun cas rentrer chez lui tout seul et encore moins prendre le volant de sa voiture. Il est également possible d'appeler les services de secours afin que le travailleur soit pris en charge.
En fonction de la gravité de la situation, une sanction disciplinaire, un avertissement voire un licenciement pour faute grave est envisageable.
Exemple : Dans ce cas de jurisprudence, un travailleur a été licencié pour faute grave à la suite de la constatation de son état d'ébriété via un éthylotest réalisé par son employeur. Son licenciement est justifié car son poste de travail nécessite l'utilisation d'outils rapants et de machines. Le travailleur présentait donc un risque pour lui et les travailleurs alentours (Cass, civile, soc, 8 juin 2011, 10-30.162, second moyen).
Documentation: N'hésitez pas à regarder cette petite vidéo de l'INRS sur la bonne manière de réaliser un pot en entreprise !
Obligation de prévention contre le tabagisme
Il est interdit de fumer et de vapoter dans les lieux affectés à un usage collectif et notamment dans les lieux de travail fermés et couverts (Article R3512-2 CSP. et Article L3513-6 CSP.).
Néanmoins, l'employeur peut mettre en place des espaces spécifiquement conçus pour la consommation du tabac. Pour être conformes, ces espaces doivent respecter de nombreuses conditions et notamment celle d'être équipés d'un dispositif d'extraction d'air par ventilation mécanique (Article R3512-4 CSP.).
Afin de faire appliquer la réglementation, l'employeur doit mettre en place une signalisation apparente qui rappelle l'interdiction de fumer sur les lieux de travail (Article R3512-7 CSP. et Article L3513-6 CSP.).
Attention : Le fait de fumer ou de vapoter dans des lieux où c'est interdit est passible d'une amende de respectivement 68 et 35 euros (Article R3515-2 CSP. et Article R3515-7 CSP.) !
Comment mettre en place une démarche de prévention contre les risques d'addiction ?
Au-delà de la stricte application de la réglementation, la démarche de prévention des risques d'addiction s'appuie d'abord sur l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise et notamment sur :
- la prévention des risques psychosociaux (RPS) ;
- la prévention des risques de troubles musculosquelettiques (TMS) ;
- la prévention des risques liés au travail de nuit ;
- etc.
L'action de la médecine du travail, du service de prévention ainsi que la formation es travailleurs permettent également d'établir une prévention efficace auprès des salariés.
Enfin, sous certaines conditions, il est possible de mettre en place des contrôles pour les salariés.
Focus: L'employeur peut faire le choix de dispenser des séances d'information et de formation sur les risques liés aux pratiques addictives.
Prévention des risques psychosociaux (RPS)
Étant donné qu'il existe une corrélation évidente entre la consommation d'alcool et de drogue et les RPS, la prévention des RPS est un moyen direct et particulièrement efficace pour prévenir les comportements addictifs dans l'entreprise.
En effet, le Baromètre santé 2010 de Santé Publique France, indique que 36,2 % des fumeurs de tabac, 9,3 % des consommateurs d'alcool et 13,2 % des consommateurs de cannabis déclarent avoir augmenté leurs consommations à la suite de problèmes liés à leur travail ou à leur situation professionnelle.
Focus: Les RPS comprennent notamment le stress et le harcèlement moral et sexuel.
Pour plus d'informations, n'hésitez pas à consulter notre guide dédié à la prévention des risques psychosociaux.
Action médicale au sein de l'entreprise
Le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif et consiste notamment (Article L4622-3 C.Trav.) :
- à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ;
- à éviter les risques d'atteinte à la sécurité des autres travailleurs.
Ainsi, afin de prévenir les troubles et comportements addictifs, une visite auprès du médecin du travail peut être effectuée à la demande du travailleur, de l'employeur ou du médecin du travail (Article R4624-34 C.Trav.).
Cette visite a un effet préventif et permet de contrôler l'état de santé du travailleur afin de déterminer s'il présente une contre-indication pour occuper son poste de travail. Lors de cette visite, le médecin peut notamment réaliser un dépistage de substance psychoactive (Article R4624-35 C.Trav.).
Dans le cadre de la prévention, l'objectif de ce type de visite est de venir en aide à un travailleur qui présenterait des signes d'addiction.
Tous les salariés de l'entreprise ainsi que le CSE et l'employeur peuvent jouer un rôle en adoptant une posture bienveillante afin d'aider au mieux les travailleurs sujets à une addiction.
Notez-le: Dans le cadre de la lutte contre le tabagisme, le médecin du travail peut prescrire des substituts nicotiniques (Article L3511-3 CSP.).
Par ailleurs, l'employeur doit mettre en place des mesures pour assurer les premiers secours aux accidentés et aux malades (Article R4224-16 C.Trav.). Ainsi, il est nécessaire de fournir les moyens matériels et d'établir une procédure à appliquer en cas d'état d'ivresse ou de comportement addictif d'un travailleur sur le lieu de travail.
Enfin, les actions médicales peuvent être menées en collaboration avec les services de prévention et de santé au travail. En effet, ces derniers conseillent les employeurs, les travailleurs et le CSE sur les dispositions et mesures nécessaires afin notamment de prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail (Article L4622-2 C.Trav.).
Documentation: Webinaire de l'INRS - Travail et pratiques addictives : comprendre et prévenir les risques.
Contrôle des salariés
Sous certaines conditions, l'employeur est autorisé à effectuer des éthylotests et des tests salivaires afin de pouvoir contrôler la consommation de substances psychoactives de ses salariés.
Attention : Ces deux pratiques sont strictement réglementées par la jurisprudence et ne doivent en aucun cas être réalisées de façon abusive (test salivaire, CE, 5 décembre 2016, n° 394178) / (éthylotest, Cass, civ, soc, 4 novembre 2015, 14-18.573).
La réalisation de ces tests doit être justifiée par des raisons de sécurité et ne peut pas être systématique. Ils s'appliquent uniquement aux postes à risques pour lesquels la consommation de substances psychoactives présente un risque pour le salarié ou les travailleurs alentour.
Concernant l'éthylotest, les postes pour lesquels un dépistage peut être pratiqué doivent être précisés dans le règlement intérieur.
Concernant le test salivaire, il peut être réalisé par un supérieur hiérarchique ou par l'employeur à condition d'être inscrits dans le règlement intérieur et ces derniers sont tenus au secret professionnel pour les résultats. Par ailleurs, le salarié doit pouvoir obtenir une contre-expertise médicale prise en charge par l'employeur.
Documentation: N'hésitez pas à consulter la brochure de l'INRS sur la prévention des pratiques addictives en milieu de travail.
Quelle est la responsabilité de l'employeur ?
La responsabilité civile de l'employeur peut être engagée lorsque celui-ci a commis une faute inexcusable. La faute inexcusable de l'employeur peut être reconnue :
☑️ ️par absence, insuffisance ou défaut des mesures de prévention des risques (Cass, crim,11 juin 2014, 13-85.601) ;
☑️ ️lorsque l'employeur n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires par méconnaissance du danger (Cass, civ, 20 décembre 2018, 17-28.148).
Par ailleurs, la responsabilité pénale de l'employeur peut également être engagée sur le fondement du Code pénal et notamment pour :
☑️ ️la mise en danger d'autrui (Article 121-3 C.pén.) ;
☑️ ️le fait de causer des blessures sur autrui (Article 222-20 C.pén.) ;
☑️ ️le fait de causer la mort d'autrui (Article 221-6 C.pén.).
Ainsi, dans le cadre de la prévention des addictions en entreprise, l'employeur doit veiller à mettre en place les obligations de sécurité précitées.
Attention : L'application de l'interdiction de fumer sur les lieux de travail et la signalisation qui l'accompagne peuvent être vérifiées par l'inspection du travail dans le cadre d'une visite de contrôle (Article L3515-1 CSP.).
En outre, face à un travailleur manifestement sous l'influence d'alcool, de stupéfiants ou de toute autre substance psychoactive, l'employeur doit immédiatement isoler le salarié et appeler les services de secours ou le médecin du travail. Ces actions permettent d'assurer la sécurité du salarié et ainsi de le protéger contre son comportement potentiellement dangereux pour lui-même et pour les autres.
Exemple : Dans ce cas de jurisprudence, deux salariés, dont un cadre, sont accusés d'homicide involontaire et condamnés à une amende de 2000 euros pour avoir laissé un salarié en état d'ivresse manifeste prendre le volant de sa voiture pour rentrer chez lui (Cass, crim, 5 juin 2007, 06-86.228).
Ce qu'il faut retenir
☝️ Les troubles addictifs augmentent le risque d'accident du travail ;
☝️ Les addictions peuvent être liées aux conditions de travail et notamment en cas de RPS ;
☝️ L'employeur doit encadrer la consommation d'alcool dans l'entreprise et notamment à travers le règlement intérieur ;
☝️ L'employeur doit mettre en place une signalisation pour l'interdiction de fumer et de vapoter ;️
☝️ Sous certaines conditions, l'employeur peut mettre en place des contrôles de dépistage de substances psychoactives pour les postes dangereux.️