Ordonnances : fin du CHSCT, pénibilité, télétravail… quels points touchent la santé-sécurité ?

Classé dans la catégorie : Institutionnels

En changeant "l'état d'esprit du code du travail", le gouvernement touche à de nombreux points concernant la santé-sécurité et les conditions de travail. À commencer par le CHSCT, qui disparaît, ou la prise en charge des accidents en télétravail.

Savez-vous ce qui est en jeu ? "Changer l'état d'esprit du code du travail", lance Muriel Pénicaud. Avec le premier ministre, elle a défendu hier, en conférence de presse, les arbitrages décidés après plusieurs semaines de bilatérales avec les organisations syndicales et de débats à l'Assemblée nationale, pour écrire les ordonnances réformant le code du travail. Et lorsque la ministre du travail évoque un changement de paradigme, ce n'est pas un vain mot, explique-t-on rue de Grenelle. "Le code du travail aujourd'hui est fondé sur un présupposé : la relation par nature inégalitaire entre le salarié et son employeur. Or le rôle du code du travail n'est pas d'aller combattre cette inégalité, on s'attaque à cette vision", y développe-t-on. L'objectif du gouvernement est clair : "créer les conditions de la liberté de produire". Premier acte de ce bouleversement : 5 ordonnances, 82 articles, environ 150 pages.

Et au moins 5 points qui retentissent directement sur les questions de santé et sécurité au travail.

1. La fin du CHSCT

C'est la mise en route d'un engrenage qui veut instaurer un "système de co-décision à la française", décrit l'entourage de Muriel Pénicaud, voire carrément "la pointe de l'innovation sociale", avec "des instances représentatives davantage tournées vers la création de la richesse dans l'entreprise". La 2e ordonnance créé le comité social et économique. Le CSE sera instauré dans toutes les entreprises d'au moins 11 salariés. Dans celles d'au moins 50 salariés, il remplacera les actuels délégués du personnel, comité d'entreprise, et CHSCT. "Il en conservera la personnalité morale, ainsi que toutes les compétences et les prérogatives, y compris sur les aspects sécurité et conditions de travail, la capacité de demander des expertises, de déclencher des enquêtes et faire des recours judiciaires si nécessaire", expose le ministère.

La présence d'une commission "santé, sécurité et conditions de travail" ne sera obligatoire que dans certains cas :

  • dans les entreprises d'au moins 300 salariés et dans les "établissements distincts d'au moins 300 salariés",
  • dans les établissements où il y a une INB (installation nucléaire de base),
  • dans les installations classées Seveso seuil haut,
  • dans certaines mines ou stockages souterrains de gaz.

L'inspecteur du travail pourra aussi imposer une telle commission "lorsque cette mesure est nécessaire, notamment en raison de la nature des activités, de l'agencement ou de l'équipement des locaux".

Dans tous les autres cas, la décision d'avoir ou pas une commission santé, sécurité, conditions de travail se prendra au sein de l'entreprise, soit par accord d'entreprise, soit d'un commun accord entre l'employeur et le CSE.

2. Limiter le recours à l'expertise, y compris pour la santé et sécurité

Le nouveau CSE pourra donc toujours décider d'expertises. Sauf qu'il devra, bien souvent, en assumer 20 % du coût.

L'employeur n'aura plus à régler la totalité de la note que :

  • lorsqu'il s'agit de recourir à un expert-comptable pour les consultations récurrentes du CSE ou en cas de licenciements collectifs pour motif économique,
  • et lorsqu'il s'agit de recourir à un expert CHSCT – qui sera désigné autrement, fin du CHSCT oblige – en cas de "risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel".

Dans tous les autres cas, l'employeur paiera uniquement 80 % de l'expertise. Y compris pour une expertise CHSCT "en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail".

3. La nouvelle version du compte pénibilité

C'est la 5e ordonnance, et hier matin, personne ne semblait encore vraiment sûr qu'elle soit présentée. Elle réforme le compte pénibilité, qui est, comme annoncé début juillet par Édouard Philippe, rebaptisé "compte professionnel de prévention". Lire aussi : Compte pénibilité : retour à une logique de réparation en fin de carrière.

"Nous avons trouvé le mécanisme qui permettra de garantir les droits acquis, de mettre en œuvre ces droits, et en même temps de simplifier la vie des chefs d'entreprises", a assuré le premier ministre. Mais pour l'instant, en dépit des 13 pages d'ordonnance, la solution miracle reste assez floue, puisque la liste des facteurs est renvoyée à un décret. Seule est conservée – sans changement – leur définition comme étant des "facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail, susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé".

Le reste de l'ordonnance organise l'architecture du nouveau dispositif, en partie calqué sur l'ancien : déclaration de l'employeur auprès de la Carsat, utilisation des points pour une formation, un passage à temps partiel, ou un départ anticipé à la retraite, etc. Comme annoncé en juillet, la financement du compte est bien renvoyé à la branche AT-MP de la sécurité sociale, ce qui supprime la cotisation des entreprises.

Les textes présentés hier n'indiquent en rien comment le gouvernement entend organiser la prise en compte des facteurs qu'il veut sortir du dispositif et renvoyer à la possibilité de départ à la retraite anticipés, via les tableaux de maladies professionnelles…

4. Accords de branche / accords d'entreprise

Entre ce qui revient à l'accord de branche et ce qui peut passer par un accord d'entreprise, le ministère aurait en quelque sorte fait le ménage. C'est du moins ce que l'on explique rue de Grenelle : "il n'est pas excessif de dire qu'aujourd'hui c'est complètement le bazar", y constate-on. Demain, avec les ordonnances, tout sera rangé dans 3 blocs distincts.

  • Le 1er bloc rassemblera les 11 thèmes pour lesquels, lorsque la branche négocie, elle impose obligatoirement ce qui en ressort à l'ensemble des entreprises de son secteur – à moins que l'accord d'entreprise soit plus favorable. En plus, par exemple, des salaires minimas hiérarchiques et des conditions pour la période d'essai, on trouve dans ce bloc les questions de durée du travail et d'égalité professionnelle femmes-hommes.
  • Pour les sujets figurant dans le 2e bloc, la branche pourra aussi conclure des accords. Et elle pourra les imposer aux entreprises. Mais cela ne sera qu'une possibilité – dite "de verrouillage" –, il n'y aura pas d'obligation.
    Seuls 4 thèmes sont concernés, dont :
    • la "prévention des effets de l’exposition aux facteurs [de pénibilité]",
    • "l'insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés",
    • "les primes pour travaux dangereux ou insalubres".
  • Quant au 3e bloc, il rassemblera tout le reste, ce qui est "impossible à énumérer", reconnaît le ministère. Cela peut par exemple concerner une prime pour travail de nuit, qui sera alors directement négociée dans l'entreprise, si l'entreprise le souhaite.

5. Télétravail : la prise en charge des accidents du travail

Sur ce point, les organisations patronales ne seraient pas ravies, assure le ministère du travail, qui se félicite d'avoir levé "un des principaux obstacles au développement du télétravail", en leur faisant accepter de prendre en charge les accidents du travail qui surviennent au domicile dans les mêmes conditions que s'ils étaient dans les locaux de l'entreprise. Un salarié en télétravail qui tombe dans ses propres escaliers pourra donc déclarer un accident du travail, et bénéficier d'une prise en charge identique à celle qu'il aurait s'il glisse en allant à la cantine quand il travaille au bureau.

Dans ce cas, l'employeur a-t-il un droit de regard sur, par exemple, la dangerosité de l'escalier au domicile de son salarié, ou sur son installation électrique ? Non, il n'en est pas question dans les dispositions prévues par le gouvernement.

Autre mesure clé pour favoriser le développement du télétravail : à partir du moment où un salarié occupe un poste "éligible" au télétravail, il peut demander à son employeur d'en bénéficier, et si l'employeur refuse, c'est à lui de motiver sa réponse. "C'est en quelque sorte un renversement de la charge de la preuve entre salarié et employeur", commente l'entourage de Muriel Pénicaud.

Quand est-ce que les ordonnances entreront en vigueur ?

Plusieurs étapes restent encore à franchir avant l'entrée en vigueur de ces 5 ordonnances.

  • Les projets de textes – permis par la loi d'habilitation définitivement adoptée début août par le Parlement – doivent être examinés par le Conseil d'État, qui s'assurera notamment que le gouvernement respecte bien le cadre fixé par la loi d’habilitation.
  • En parallèle, la décision du Conseil constitutionnel, saisi par des députés de gauche après l'adoption au Parlement, doit tomber la semaine prochaine. En censurant la loi d'habilitation, les magistrats pourraient réduire le périmètre d'action par ordonnance du gouvernement.
  • D'autre part, plusieurs instances paritaires consultatives, dont le Coct (conseil d'orientation des conditions de travail), devront aussi rendre leur avis dans les jours qui viennent.
  • Tout ceci pourra conduire le gouvernement à modifier – "à la marge", "dans des proportions mesurées", a déclaré le premier ministre – le contenu des ordonnances.
  • Le vendredi 22 septembre, le conseil des ministres adoptera les textes.
  • Les ordonnances, signées d'Emmanuel Macron, seront alors publiées dans les jours qui suivent – peut-être dès le lendemain, le samedi – au Journal officiel.
  • Dès le lendemain de la publication, les dispositions qui ne nécessitent pas de mesures réglementaires entreront en vigueur, à moins qu'une date ultérieure soit précisée dans l'ordonnance.
  • Pour les mesures qui nécessitent des textes d'application (concernant la pénibilité, notamment), il faudra attendre leur parution au Journal officiel.

Documents joints :

Lire aussi : Quand le comité social et économique s'imposera-t-il aux entreprises ?.

 

 

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