Podcast Inforisque : aspects juridiques de la sécurité et responsabilité civile de l'employeur

Classé dans la catégorie : Institutionnels

Aujourd'hui, nous allons traiter des aspects juridiques de la sécurité et les questions de responsabilité.

Et pour cela, j'ai le plaisir de recevoir Maître Michel Ledoux, avocat fondateur du cabinet Ledoux et Associés, spécialisé dans la santé et la sécurité au travail et dont les compétences s'exercent dans le champ de la responsabilité civile et pénale dans les domaines des risques professionnels.

Entrons dans le vif d'un sujet qui tombe à pic puisque mars 2022 voit l'arrivée d'un décret d'application concernant les nouvelles exigences fondamentales du document unique, et ceci en continuité avec la loi votée l'été dernier. Mais pour bien comprendre les tenants et les aboutissants, il convient de partir d'une notion juridique essentielle.

Ma première question où en est-on de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur ?

Alors, vaste question. Vous allez voir que cette obligation de sécurité de résultat, elle a beaucoup évolué ces 20 dernières années. D'abord, première remarque si on parle d'obligation de sécurité, on parle de responsabilité civile, on ne parle pas de responsabilité pénale. Et la responsabilité civile, notamment en cas d'accident, ne concerne que l'employeur et peut aboutir, en cas d'accident, à la condamnation de l'employeur de l'entreprise à payer les dommages et intérêts. Donc on est dans le champ de la responsabilité civile.

Alors, première remarque cette fameuse obligation de sécurité de résultat, en tous les cas, au moins au départ, elle n'est pas tombée du ciel puisque c'est le résultat d'une évolution de nos sociétés. Il faut admettre que pendant des décennies, finalement, les conditions de travail entre n’ont pas intéressés grand monde. Les partenaires sociaux s'intéressaient essentiellement à l'emploi : avoir un travail, un salaire ; les conditions de travail, ce n'était pas un vrai problème. Tout le monde se souvient que dans beaucoup d'entreprises, pendant des décennies, on versait aux salariés des primes de salissure, des primes d'insalubrité. Donc, quelque part, pour compenser des conditions de travail délétères par le versement de sommes d'argent. Il y a maintenant une vingtaine d'années, on a commencé à s'intéresser aux conditions de travail. On a commencé par la santé physique : on a vu monter en puissance, par exemple, l'intérêt pour les cancers professionnels, pour les troubles musculosquelettiques, les TMS. Ça, c'est le premier étage de la fusée, si je puis dire.

Deuxième étage de la fusée ces dernières années la santé mentale. Les fameux risques psychosociaux.

Troisième étage de la fusée, si je puis dire, qui est un peu la synthèse des deux. C'est la fameuse QVT : la qualité de vie au travail.

Et il y a même des gens qui prétendent qu'il y aurait un quatrième étage qui serait le bonheur au travail. Je propose qu'on ne s'exprime pas trop là-dessus. Contentons-nous de santé physique, santé mentale, qualité de vie au travail. Mais on voit qu'il y a une trajectoire qui place la santé physique et mentale au cœur de la vie professionnelle. Donc, ce n'est pas vraiment étonnant que depuis quelques années, on se soit beaucoup interrogé sur la nature de l'obligation de l'employeur. Et je le répète, ce n'est pas une question juridique, c'est une question d'évolution de la société.

Et on voit bien d'ailleurs que ce ne sont pas des petits sujets d’experts. Ces sujets-là sont des sujets fondamentaux. On voit bien l'importance de la qualité de vie au travail. Ça dépasse largement le champ extrêmement étroit de l'hygiène, la santé, la sécurité. C'est un vrai problème. D'ailleurs, la santé au travail est un vrai problème de management, ce n'est pas un problème d'experts, c'est un problème de management.

Et évidemment, dans ce contexte-là, on a des salariés très exigeants. On a des syndicats professionnels très exigeants. On a des magistrats très exigeants et on va le voir au fil de l'eau. On a des réglementations dans le code du travail et puis dans le code pénal et dans le code de la sécurité sociale. Effectivement, de plus en plus exigeante pour les employeurs.

Alors, le départ de l'histoire, de la fabuleuse histoire, de l'obligation de sécurité, de résultat, on va dire, on va prendre comme point de départ pour aller vite. Une décision qui a été rendue par la Cour de cassation le 28 février 2002. Cette décision a été rendue dans le cadre de ce qu'il est coutume d'appeler l'affaire de l'amiante et plus précisément dans le cadre de procédures tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. En deux mots, vous savez que lorsqu’un accident du travail survient, le caractère professionnel peut être reconnu par la Caisse primaire d'assurance maladie dans le régime général.

Mais deuxième étape, si un salarié estime qu'à l'origine de son accident du travail ou de sa maladie professionnelle, il y a une faute de l'employeur, en clair, un manquement aux règles d'hygiène et de sécurité, ce salarié peut engager une procédure spéciale qui s'appelle encore aujourd'hui la procédure en faute inexcusable de l'employeur. Ça se passe devant un tribunal spécial, lui aussi, qui s'appelle le pôle social du tribunal judiciaire. Et si le salarié arrive à convaincre le tribunal qu'il y a une faute inexcusable, la victime, le salarié, va recevoir des dommages et intérêts complémentaires. Donc il a un intérêt financier à ce que cette faute soit reconnue et versée par l'entreprise.

C'est qu'une procédure dirigée contre l'employeur, contre l'entreprise et c'est l'entreprise qui dédommagera ultérieurement le salarié dans le cadre de cette procédure. Je simplifie un petit peu le débat, mais il est là. Jusqu'au 28 février 2002, cette fameuse faute inexcusable qui n'a jamais été définie par la loi, le code de la sécurité nous parle de faute inexcusable, mais on n'a pas de définition. Eh bien, jusqu'au 28 février 2002, il y avait une définition qui a été donnée par la jurisprudence qui, tenez-vous bien, datait de 1941. Il fallait, pour que la faute inexcusable soit reconnue, que le salarié démontre que son employeur avait commis, je cite : « une faute d'une exceptionnelle gravité, d'un acte ou d'une mission volontaire avec conscience du danger » ; une faute considérable, une faute colossale.

C'est la conscience du risque qui n'a pas été prise en compte par l'employeur.

Voilà. Dans tous les cas, jusqu'au 28 février 2002, il fallait que le salarié victime démontre que l'employeur avait conscience du danger et qu'il n'avait pas pris les mesures adéquates. Dans le cadre de l'affaire de l'amiante, dans le cadre des procédures de faute inexcusable. Un arrêt très important a été rendu le 28 février 2002 qui a totalement bouleversé la définition de la faute inexcusable. Et cet arrêt se décompose en deux paragraphes : premier paragraphe et là, on rentre dans le vif du sujet, la Cour de cassation nous dit qu'en 2002, que l'employeur désormais est tenu à l'égard de ses salariés à une obligation de sécurité de résultat. La cour de cassation dit exactement : « en vertu du contrat de travail qui lie un salarié à son employeur, l'employeur, désormais, est tenu à l'égard des salariés à une obligation de sécurité de résultat ». C'est le premier paragraphe des arrêts du 28 février 2002.

Deuxième paragraphe qui traite de la faute inexcusable, la Cour de cassation nous dit « il y aura une faute inexcusable à deux conditions malgré tout, c'est que le salarié démontre que son employeur a eu conscience du danger et qu'il n'a pas pris les mesures destinées à le préserver ».

Cet arrêt a fait un véritable tabac puisqu'il est né dans un tout petit coin du droit social, dans le code de la sécurité sociale, dans le recoin de la faute inexcusable. Mais dès l'année suivante, cette obligation de sécurité de résultat, elle a investi tout le champ du contrat de travail et à partir de là, il y a eu toute une série de décisions, par exemple, qui ont conduit les tribunaux à suspendre une organisation mise en œuvre par l'entreprise au motif que cette organisation risquait d'attenter à la santé physique et mentale des salariés. Cela a permis, par exemple, à des salariés exposés à des risques, je pense, aux risques du tabac, par exemple dans une brasserie. Le salarié a pu prendre acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant une exposition passive au tabac. Bref, cette obligation de sécurité de résultat a investi tout le champ du contrat de travail et pendant 20 ans, la Cour de cassation en a fait une interprétation extrêmement rigoureuse.

Autrement dit, en clair, dès l'instant où il y avait un pépin dans une entreprise, que dès l'instant ou une règle en lien avec la santé au travail n'avait pas été respectée, la Cour de cassation nous disait que sa cause est nécessairement un préjudice aux salariés et ça permettait au salarié de recevoir des dommages et intérêts. Donc pendant 20 ans, une interprétation rigoureuse, implacable, si je puis dire, de cette fameuse obligation de sécurité de résultat. Alors pendant 20 ans, effectivement, sous la pression de la Cour de cassation, quand on fait le bilan aujourd'hui, on a constaté quand même que cela avait conduit beaucoup d'entreprises à améliorer leur politique de prévention. Et comme toujours, vous le savez, les entreprises qui se sont bien améliorées sont les grandes entreprises. Celles qui ont les moyens. Celles qui ont des inventeurs. Et ces entreprises-là, quand même, il faut dire les choses telles qu'elles sont, ont bien progressé en termes de prévention. À tel point d'ailleurs que l'on sait bien que depuis quelques années, notamment le nombre d'accidents du travail, a tendance à refluer et notamment dans le secteur du BTP qui est un secteur très accidentogène. Qui est d'ailleurs le secteur qui a le plus progressé en 20 ans en termes de réduction du nombre d'accidents du travail.

Si je peux me permettre une question subsidiaire, parce que vous évoquez la question de la taille de l'entreprise, est ce que le juge pourrait y apporter quelques circonstances atténuantes concernant cette sécurité de résultats pour une petite entreprise qui n'a pas forcément de spécialistes en interne pour, je dirais, tout analyser dans cette problématique du risque ?

Je comprends votre question. D'un point de vue strictement juridique, non. Normalement, il n'y a pas de raison que les salariés des petites entreprises soient moins bien protégés que ceux des grandes entreprises. Ça voudrait dire qu'on autoriserait, en poussant le raisonnement jusqu'au bout, les petits employeurs à être moins concentré sur la prévention des risques. Non, au niveau des sanctions, au niveau du principe de responsabilité, il n’y a aucune différence.

Maintenant, effectivement, au niveau des sanctions, au niveau des peines d'amende, voire même des mois d'emprisonnement. C'est vrai que les magistrats qui résonnent un peu en équité seront moins rigoureux, moins sévères avec les petits employeurs qui n'ont pas, effectivement, les moyens des grandes entreprises.

Mais d'un point de vue strictement juridique, tout le monde est égal devant la loi et tous les employeurs doivent respecter notamment les dispositions de la quatrième partie du Code du travail. Donc il n'y a pas en termes de principe, de responsabilité, de différence. Par contre, effectivement, en termes de sanctions, les magistrats vont parfois tenir compte des moyens et du contexte dans lequel un éventuel accident va survenir.

Et d'ailleurs, une question peut être supplémentaire à ce sujet-là, parce qu'on parle de responsabilité de l'employeur, on parle de personnes morales ou personnes physiques ?

homme tenant un code du travailAlors quand on parle de responsabilité civile, c'est ce dont on parle aujourd'hui, on ne parle que des personnes morales, on parle de l'employeur. La responsabilité civile concerne l'entreprise, l'employeur, le salarié, le membre de l'encadrement, par exemple de l'entreprise, sur le terrain, la responsabilité civile ne risque rien puisque l'employeur est civilement responsable des agissements de ses salariés. Autrement dit, un membre de l'encadrement qui cache quelqu'un ou qui, par sa négligence, est à l'origine d'un accident. En termes de responsabilité civile, je souligne une fois de plus responsabilité civile ne risque rien à titre personnel. Son patrimoine est protégé. C'est l'employeur ou les systèmes d'assurance de l'entreprise qui prendront en charge le montant des dommages et intérêts. Donc, c'est bien clair, ce dont je parle ce matin, c'est quelque chose qui concerne l'employeur. Donc l'entreprise qui émet la fiche de paie, si je puis dire, c'est elle qui va devoir payer les dommages et intérêts, soit directement, soit plus génériquement, par l'intermédiaire des compagnies d'assurances. Derrière tout ça.

Alors j'en étais à mon histoire d'obligation de sécurité, de résultat et donc pendant 20 ans. Pour faire simple, mais c'est exact, application extrêmement rigoureuse de cette fameuse obligation qui a conduit à d'innombrables condamnations. Alors je viens de vous le dire également, on sait que ça a quand même permis d'améliorer un peu la situation et cela a poussé les entreprises à mettre en œuvre des politiques de prévention beaucoup plus efficaces. En même temps, cette évolution a été également critiquée, notamment par les présentateurs qui ont dit assez rapidement à la Cour de cassation : le problème, c'est que vous mettez tout le monde dans le même sac vous ne distinguez pas les entreprises vertueuses, celles qui font un bon travail de prévention et les entreprises qui font n'importe quoi. Et les préventeurs de dire « comment voulez-vous qu'on puisse demander de l'argent à nos patrons, de l'argent à mettre dans la prévention, c'est de toute façon, quoi qu'on fasse, on est systématiquement condamnés ». Et donc ces préventeurs disaient à la Cour de cassation : « votre jurisprudence, elle est en partie contreproductive parce que vous ne distinguez pas entre les bons et les méchants, et donc nous, on risque de poser le stylo parce qu’on ne sert à rien ».

Alors au terme de nombreuses polémiques, ça a abouti à une évolution qui date du 25 novembre 2015, à l'occasion d’une affaire, qu'on appelle dans notre jargon, l'arrêt Air France. En deux mots d'ailleurs pour que vous compreniez bien, je simplifie l'histoire pour aller très vite : un personnel navigant d'Air France était à New-York le 11 septembre dans un hôtel. Il assiste aux attentats en direct, il rentre à Paris quelques jours après. Il reprend son travail et puis au bout de quatre ans. Il invoque des crises de panique à bord. Il s'arrête durant très longtemps et il finit par être licencié pour inaptitude. Après son licenciement, il saisit le conseil des prudhommes et il demande des dommages et intérêts en disant : « Après le 11 septembre, Air France n'a pas respecté son obligation de sécurité de résultat, on ne s’est pas vraiment occupé, moi, on m'a laissé dans mon petit coin. Et donc ce n'est pas vraiment étonnant que, quatre ans après, des crises de panique à bord aient resurgit. Donc, je souhaite obtenir des dommages et intérêts à l'encontre d'Air France parce qu'on n'a pas respecté cette fameuse obligation de résultat ». Alors, devant les juridictions, Air France verse au débat son plan d'action en disant « Moi, évidemment, les attentats, on ne pouvait pas les prévoir. Par contre, dès le lendemain du 11 septembre, on a embauché des psys pour aider nos personnels navigants à surmonter le choc émotionnel. On a mis en place toute une série de mesures ». Et alors là ? Le 25 novembre 2015, pour la première fois, la Cour de cassation a dit, sur cette affaire-là, qu'Air France justifiait avoir respecté les principes généraux de prévention. Autrement dit qu'il y avait une bonne évaluation des risques liés aux conséquences du 11 septembre pour les personnels navigants, que le plan d'action mis en œuvre par Air France était bien fait, intelligent, complet, effectif. Autrement dit, qu'il avait effectivement été mis en place sur le terrain et cela n'était pas arrivé depuis plus de 20 ans. Air France, dans ce dossier-là, a été exonéré de sa responsabilité, considérant qu'Air France avait fait le travail d'évaluation des risques et le plan d'action était complet, effectif, efficace.

C'est le succès finalement de la société, on va l'appeler vertueuse, qui est le résultat probant d'une action de prévention bien menée en interne de l'entreprise.

Absolument. Ceci dit, attention, la barre est haute. Il ne suffit pas d'arriver devant un tribunal et faire des claquettes en le disant, il faut mettre sous le nez des juges, si je puis dire, la traçabilité de la démarche. Premièrement, la fameuse démarche d'évaluation des risques. Il faut commencer par ça, inlassablement, en matière de risques professionnels : analyser la situation, évaluer les risques, les repérer, les classer par risque d'occurrence, et puis, derrière, justifier un plan d'action. Et comment justifier tout cela ? On y reviendra dans un instant, tout à l'heure. C'est évidemment au niveau de l'établissement, le document unique d'évaluation des risques.

Ça touche toutes les entreprises, petites et grandes, c'est à dire que c'est effectivement ce qui met sur un pied d'égalité toutes les entreprises.

Absolument. Et puis, derrière les plans de prévention, les protocoles de chargement et de déchargement, les PPSPS dans le bâtiment, les formations. Donc l'employeur pourra se défendre aujourd'hui. Auparavant, c'est qu'à tous les coups l'on perd pour l'employeur Aujourd'hui, si l'on a fait ce travail d'évaluation des risques, s'il est capable de justifier de document unique, de plan d'action, toute la traçabilité qu'exige d'ailleurs la réglementation, eh bien, il pourra, peut-être, s'exonérer de sa responsabilité. Autrement dit, aujourd'hui, la conscience du danger, on l'évalue à la qualité de la prévention. Autrement dit, les magistrats à qui l'on soumet un dossier ne vont pas se contenter de dire qu'il y a eu un accident, donc de la responsabilité. Ils ont aujourd'hui l'obligation d'analyser la qualité de la prévention de l'entreprise. Et ça, c'est très important parce qu'on. On voit bien qu'aujourd'hui l'employeur n'est pas collé au mur, si je puis dire, systématiquement par les juridictions en matière de responsabilité civile. S'il a fait le travail, s'il a investi, s’il a mis de l'argent. Et surtout, s'il est capable de rapporter la preuve de ce qu'il a fait, il pourra peut-être, je dis bien peut-être parce que c'est vraiment du cas par cas, s'exonérer de sa responsabilité. Et alors ? En parallèle à tout ça, la Cour de cassation a posé quelques principes fondamentaux. D'abord, le principe d'effectivité, c'est à dire que les règles de sécurité, il ne suffit pas qu'elles existent, il faut qu'elles soient effectivement appliquées sur le terrain parce qu'on a connu les entreprises qui ont de véritables usines à gaz, paperassières et alors même que sur le terrain il ne se passe rien.

Un tableau Excel ne suffit pas.

Absolument. Et ça, il faut en avoir conscience. Deuxième règle fondamentale l'efficacité. Autrement dit, les règles de sécurité qu'on en prévoit doivent être efficaces. Bon, et parce que quand il y a le feu, il faut être capable de l'éteindre. Donc il ne s'agit pas de prévoir des mesurettes qui ne servent qu'à faire joli. Il faut que les règles soient efficaces. Et puis, il y a une troisième règle qui est également très importante, c'est la règle de la réactivité. L'employeur doit réagir vite et d'ailleurs, une petite bifurcation vers les risques psychosociaux, en cas d'alerte harcèlement dans une entreprise, lorsque quelqu'un ou quelqu'une lève le doigt en disant je suis harcelé, quelle que soit la nature du harcèlement, que dit la Cour de cassation ? L'employeur doit sans délai, c'est à dire immédiatement, mettre en œuvre une enquête interne. Il ne faut pas attendre que ça s'arrange tout seul, parce que ça ne s'arrange d'ailleurs rarement tout seul. Il faut, s'il y a une alerte, remplir une obligation d'investigation. Et cette obligation doit être mise en œuvre le plus rapidement possible. Pour reprendre les mots de la Cour de cassation : « sans délai ». Et donc, on voit bien que on a maintenant certes la possibilité pour l'employeur de se défendre, mais d'un point de vue théorique, effectivement, il peut se défendre. Mais je le répète, à marée haute effectivité, réactivité, efficacité, donc traçabilité. Et parce qu'il ne suffit pas de faire les choses, il faut être capable, en cas de pépin, en cas de procès, de le prouver. Problème qu'on rencontre sur pas mal de juges et je pense à la formation ou parfois les formations ont été données. Mais est ce qu'on a gardé la trace de ces formations ? Ce n'est pas toujours le cas. Et alors ? Je rebondis rapidement sur la loi du 2 août 2021 qui a été votée par le Parlement destinée à améliorer la prévention en France. Et là, je parlais tout à l'heure du document unique d'évaluation des risques qui a une importance considérable. Eh bien, vous savez que notamment, cette loi du 2 août prévoit que désormais, les documents uniques devront être conservés au moins pendant 40 ans. Auparavant, quand on passait d’une année à l'autre, on mettait en œuvre le document unique pour 2021 ou 2022, puis on zappait les documents uniques précédents. Aujourd'hui, à partir de la fin du mois de mars 2022, il va falloir garder ces documents uniques il va falloir garder les documents uniques pendant au moins 40 ans. Et vous savez certainement que la loi prévoit qu'il va y avoir un portail numérique, qui est en cours de mise en place dans, dans lequel tous les employeurs devront stocker leurs documents uniques pendant au moins 40 ans. Et ces fameux documents uniques seront accessibles aux salariés, aux anciens salariés et également à tout organisme qui aurait intérêt à les consulter. Ça pourrait être le CSE, et alors, concernant le document unique et notamment concernant la loi du 2 août, au passage, je souligne que la loi met l'accent sur la nécessité d'identifier les expositions à des risques : aux risques chimiques et à des risques aux produits toxiques ou nocifs. Et on voit bien que le fait de stocker, de conserver des documents uniques pendant 40 ans en cas de maladie professionnelle qui apparaîtraient 20 ou 30 ans après l'exposition aux risques, ça va naturellement faciliter pour le salarié la preuve de son exposition aux risques et donc ça permettra la reconnaissance en maladies professionnelles par exemple, beaucoup plus facile qu'auparavant. Et ça va engendrer automatiquement des sources de responsabilité. Car si on regarde le document unique de l'époque et si on constate que le plan d'action est inexistant ou que le plan d'action est manifestement insuffisant, ou qu'il n'était pas effectivement mis en œuvre sur le terrain. Et bien, beaucoup plus facilement qu'avant, si on parle de responsabilité civile, par exemple, le salarié pourra invoquer la faute inexcusable de son employeur et obtenir des dommages et intérêts complémentaires.

De la même manière, la loi du 2 août 2021 a prévu un passeport formation. Donc chaque salarié va avoir un passeport dans lequel seront listées toutes les formations dont il a bénéficié. Et quand un salarié changera d'emploi, d'employeur, eh bien l'employeur qui embauche le salarié consultera le fameux passeport formation et verra si le salarié a bien bénéficié des formations adéquates. Et les formations devront être systématiquement intégrées dans ce fameux passeport formation. Donc, on voit que la loi du 2 août a renforcé les outils, à la fois les outils pour les employeurs et les contraintes pour les employeurs d'avoir des bons documents uniques bien fait par des gens qui travaillent, parce que le document unique, vous le savez, il y a beaucoup de documents uniques qui sont achetés 99,99 € sur Internet ou réalisé par un stagiaire qui n'a jamais vu d'ouvrier sauf à la télévision. Et donc des documents uniques qui ne ressemblent à rien, qui font deux feuillets. Dans les années qui viennent, le document unique de plus en plus, ça va devenir l'arbitre des élégances. Et en termes de de preuves de traçabilité de ce que l'on aura fait ou n'aura pas fait.

Et donc, au point où on en est aujourd'hui clairement, on ne parle plus d'obligation de sécurité de résultat, puisque le focus la caméra n'est pas branché sur le résultat qui serait l'accident mais qui est branché sur la qualité de la prévention. Donc on parle aujourd'hui d'obligation de sécurité tout court ou bien d'obligation de prévention.

Mais ce n'est pas pour autant que ça allège finalement sur le terrain les obligations des employeurs. Parce que, je le répète, la barre est haute et les exigences de traçabilité sont d'un plus haut niveau. Et je rebondis là-dessus, je parlais des expositions, notamment aux risques, aux produits toxiques ou nocifs ou aux produits chimiques. On sait tous que dans l'avenir du risque professionnel, ce n'est plus trop les accidents du travail, ce sont les maladies professionnelles. Parce que les accidents du travail, on voit bien que Dieu merci, même s'il y en a encore beaucoup trop, progressivement, leur nombre diminue. Alors que les maladies augmentent de plus en plus aujourd'hui. À la louche, on à peu près chaque année, 600 000 accidents du travail et on a environ 50 000 maladies professionnelles. Sauf que le nombre de maladies professionnelles augmente de façon régulière. Et c'est là-dessus, en tous les cas, que dans les années qui viennent, il va falloir travailler. Et notamment sur la question des expositions aux produits toxiques ou nocives qui ne cessent de faire des dégâts.

Donc la tendance, elle est là, c'est de s'intéresser de plus en plus souvent aux expositions qui auparavant ne faisaient pas l'objet de tellement d'attention. Parce que, autant un accident du travail est brutal et soudain, autant une intoxication survient souvent sans que les opérateurs, les salariés, s'en rendent véritablement compte. L'avenir, il est bien là.

Donc obligation de sécurité. Et j'insiste sur le fait que ça concerne de plus en plus souvent la question des pathologies d'origine professionnelle.

Précisément, je voulais ajouter quelque chose que je n'ai pas dit tout à l'heure, c'est qu’entre 2002 et 2022, les juridictions, notamment la Cour de cassation, ont abandonné cette fameuse obligation de sécurité, la référence au contrat de travail. Puisqu'au départ, la Cour de cassation disait en vertu du contrat de travail qui lie un employeur à son salarié, et désormais l'obligation de sécurité n'existe pas, en référence au contrat de travail, mais à la loi. Tout simplement, les deux chambres de la Cour de cassation concernées : la chambre sociale et la deuxième chambre civile, fondent désormais l'obligation de sécurité sur la loi, et notamment sur le premier article de la quatrième partie du Code du travail, qui dit que « l'employeur doit assurer la sécurité et préserver la santé physique et mentale des salariés ». D'ailleurs, des salariés, non, des travailleurs, c'est très important.

La référence maintenant, ce n'est plus le contrat de travail, c'est la loi. Ce sont les dispositions du code du travail. Avec cet article fondamental, cette obligation qui pèse sur l'employeur : assurer la sécurité, veiller à la santé physique et mentale des travailleurs. Parce que j'ai utilisé à tort le mot salarié, on voit bien que l'obligation de l'employeur dépasse largement le champ de ses propres salariés. Ça concerne également les salariés intérimaires. Cela concerne également les sous-traitants, les co-traitants, par le jeu des plans de prévention, tout ce qui est destiné à gérer la coactivité. Vous voyez que la référence aujourd'hui, ce n'est plus le contrat de travail, c'est le code du travail et la fameuse quatrième partie du code du travail, celle qui fonde cette fameuse obligation de sécurité.

On a parlé de responsabilité civile, mais nous n'avons pas abordé la responsabilité pénale. Eh bien, rendez-vous pris avec nos auditeurs pour continuer nos échanges sur les implications juridiques de la sécurité.

Merci Maître Ledoux et à très bientôt.

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Réactions...

D'ANGELO le :

Très bon article sur l'obligation de sécurité , plus qu'à trouver un bon avocat merci.

Morand le :

Ne pas oublier le fait que la faute inexcusable s'assure. Donc, l'aspect dissuasif des conséquences financières ne sont plus ce qu'elles étaient.

Marin le :

Très bien argumenté, merci
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