Le télétravail, entre liberté et retour de bâton
Depuis la crise sanitaire, le télétravail s’est imposé comme une organisation durable dans de nombreuses entreprises. Réduction des temps de trajet, autonomie renforcée, flexibilité accrue : ses avantages sont évidents.
Mais cinq ans après son essor massif, le constat est plus nuancé. De nombreuses entreprises, qui avaient initialement adopté le télétravail à 100 % ou sur des rythmes très souples, reviennent aujourd’hui à des modèles hybrides plus encadrés. Pourquoi ? Parce que les limites apparaissent clairement : isolement, perte de cohésion, baisse de productivité dans certains métiers et, surtout, multiplication des problématiques de santé.
En tant que kinésithérapeute, je constate au cabinet une augmentation marquée des consultations pour des douleurs directement liées aux nouvelles postures de télétravail : cervicalgies, blocages lombaires, tensions scapulaires, troubles de la préhension et fatigue visuelle. Et du côté de Cinésis, nous recevons de plus en plus de demandes d’entreprises pour des formations hybrides, adaptées aux équipes qui alternent désormais entre travail sur site et travail à domicile, avec des attentes très concrètes en matière de prévention santé et d’ergonomie active.
Cinq ans après le Covid, les cabinets médicaux et les services de santé au travail confirment cette tendance : les pathologies liées au télétravail sont devenues visibles et récurrentes, touchant à la fois le système musculosquelettique et la santé mentale. Ce qui n’était au départ qu’un “malaise ponctuel” devient aujourd’hui une réalité durable de santé publique, obligeant entreprises et institutions à revoir leurs stratégies de prévention.
Autrement dit, le télétravail reste une avancée, mais il doit être pensé, accompagné et organisé. Mal préparé, il devient un facteur de risques physiques, psychologiques et organisationnels.
1. Les risques physiques : l’ergonomie sacrifiée
La première source de difficultés réside dans les conditions matérielles. Beaucoup de salariés se retrouvent à travailler sur un coin de table, sur un canapé, sans bureau adapté ni chaise ergonomique. Résultat : une multiplication des troubles musculosquelettiques (TMS).
- Postures contraignantes : écran trop bas, absence de support pour les poignets, assise inadaptée → douleurs cervicales, lombaires, épicondylites, conflits d’épaule, capsulite et troubles de la circulation.
- Éclairage mal adapté : travail face à une fenêtre, ou sous un plafonnier direct → fatigue visuelle, maux de tête.
- Sédentarité accrue : suppression des déplacements quotidiens (transports, escaliers, pauses-café) → diminution de l’activité physique, avec un impact sur la santé cardiovasculaire et métabolique.
Selon l’INRS, près de 60 % des télétravailleurs déclarent ressentir des douleurs musculosquelettiques après plusieurs mois de travail à domicile.
2. Les risques psychosociaux : isolement et surcharge cognitive
Travailler à distance modifie profondément les relations sociales et la manière de gérer sa charge mentale.
- Isolement social : moins de contacts avec les collègues, perte du sentiment d’appartenance à l’équipe.
- La tentation du “toujours connecté” : quand la frontière entre vie privée et vie professionnelle disparaît, l’impression de devoir répondre à tout, tout le temps, devient pesante.
- Hyperconnexion : journées ponctuées de visios, mails, notifications et messageries instantanées → surcharge cognitive et baisse de concentration.
Une étude Malakoff Humanis (2024) révèle que 1 télétravailleur sur 3 se sent plus stressé qu’avant la généralisation du travail à distance.
3. Les risques organisationnels et sécuritaires
Au-delà de l’individu, c’est aussi l’organisation globale qui est impactée.
- Management à distance : risque de perte de cohésion, difficulté à maintenir une dynamique d’équipe, incompréhensions liées à la communication écrite.
- Sécurité informatique : connexions depuis des réseaux domestiques non sécurisés, partage de données sensibles → augmentation des risques de cyberattaques.
- Accidents du travail : un accident survenu au domicile pendant les horaires de télétravail est juridiquement reconnu comme un accident professionnel. Les employeurs doivent donc anticiper ces situations, encore mal maîtrisées dans de nombreuses structures.
4. Les routines quotidiennes : instaurer les bons réflexes
Si l’équipement joue un rôle clé, la routine quotidienne est tout aussi essentielle pour préserver santé et efficacité.
- Structurer sa journée : commencer et terminer à heures fixes, programmer de vraies pauses régulières (5 toutes les 45 minutes de travail continu).
- Bouger régulièrement : se lever, marcher quelques pas, s’hydrater par petites gorgées, pratiquer des exercices simples d’étirement (mobilité cervicale, ouverture de la cage thoracique, torsions douces du dos) et intégrer de véritables pauses visuelles.
Comme développé dans notre article sur la récupération visuelle (Vos yeux aussi méritent une pause - Cinesis), toutes les pauses ne se valent pas. Il est utile d’alterner plusieurs types de pauses en fonction du contexte :
- Pause de déconnexion totale : quitter l’écran, regarder loin à l’horizontale ou vers une source naturelle de lumière
- Pause active / yoga des yeux : changer volontairement de foyer visuel (près/loin), effectuer des mouvements oculaires circulaires.
- Pause micro-rituelle type 20-20-20 : toutes les 20 minutes, regarder à 6 mètres (20 pieds) pendant 20 secondes.
- Pause de relâchement profond (palming, cohérence cardiaque : 3-6-5) : pour « réinitialiser » les muscles oculaires et libérer la tension nerveuse.
- Créer une frontière symbolique : travailler dans une pièce dédiée ou, à défaut, fermer son ordinateur et ranger ses dossiers à la fin de la journée.
- Limiter la surcharge numérique : désactiver les notifications non urgentes, éviter le multitâche permanent, instaurer des moments sans écran.
Comme pour les étirements, l’objectif n’est pas de s’arrêter plus, mais de s’arrêter mieux. En combinant pause corporelle + pause visuelle + respiration ou mouvement, on optimise la récupération et on limite l’apparition des TMS numériques.
Ces petits rituels, lorsqu’ils deviennent automatiques, constituent une véritable hygiène de travail. Ils réduisent l’impact des TMS, améliorent la concentration et préviennent l’épuisement psychologique.
5. Les équipements et aides disponibles : investir dans la prévention
Un télétravail efficace passe par un poste correctement aménagé. L’idéal : recréer chez soi, autant que possible, les conditions d’un bureau professionnel.
L’équipement de base :
- un écran externe réglable en hauteur avec un bras pour déporter l’écran et gagner de la place lors du rangement et l’espacer du bureau et avoir plus de distance entre les yeux et l’écran
- un clavier et une souris (verticale, oblique ou centrale) séparés du portable, la souris centrale est aujourd’hui l’une des meilleures alternatives puisqu’elle permet d’avoir une zone de mouvement réduite et non conflictuelle pour l’épaule, pour avoir eu l’occasion de la tester le modèle de chez Mousetrapper Advance 2.0, elle diminue les contraintes de manière non négligeable pour l’épaule.
- un siège ergonomique avec soutien lombaire et des accoudoirs courts, à pouvoir alterner avec swiss ball, tabouret haut, debout… alternance de position toutes les heures : assis chaise, swiss ball, debout, canapé… bref on alterne
- un repose-pieds si nécessaire.
- Les accoudoirs amovibles peuvent être une solution lorsque l’on n'a pas la possibilité d’avoir un siège ergonomique avec accoudoirs courts (Accoudoirs pour garder les bras détendus | Mousetrapper TB216)
- Un éclairage adapté : privilégier la lumière naturelle latérale, complétée par une lampe orientable évitant les reflets.
Des accessoires pratiques : support d’ordinateur, coussins de soutien, casques audios de qualité réduisant la fatigue auditive lors des visios, bureau assis- debout (beaucoup plus accessible financièrement) ou même le vérin à fixer soi même pour les plus bricoleurs.
Côté financement, plusieurs leviers existent :
- L’employeur a une obligation de fournir ou de financer les équipements nécessaires au télétravail.
- Certaines entreprises proposent une allocation télétravail couvrant une partie des frais (internet, chauffage, matériel).
- Des aides spécifiques peuvent aussi être mobilisées via la CARSAT, les services de santé au travail ou encore le FIPHFP (pour l’aménagement des postes des travailleurs handicapés).
Investir dans un poste ergonomique complet représente souvent moins de 600 € en bricolant un peu. Un montant dérisoire comparé au coût potentiel des arrêts maladie, de la baisse de productivité ou de l’absentéisme.
Pour résumer, lorsque l’on manque de place et que l’on ne veut pas investir dans un vrai bureau de travail, ni dans un siège ergonomique comme on peut avoir sur site le bon combo c’est :
- un bras pour déporter l’écran
- des accoudoirs amovibles que l’on fixe directement sur sa table à manger
- un clavier externe
- une souris centrale avec repose poignets intégré
En Option : le bureau debout assis
6. Prévenir plutôt que subir : les leviers d’action pour les entreprises
Pour faire du télétravail un véritable atout, les employeurs doivent aller au-delà de la simple mise à disposition de matériel :
- Aménagement ergonomique minimal : garantir à chaque salarié des conditions de travail décentes, que ce soit au bureau ou à domicile.
- Formations et sensibilisations : ateliers sur la posture, la gestion du temps, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.
- Encadrement clair : instauration du droit à la déconnexion, chartes de bonnes pratiques, règles explicites sur les horaires et la disponibilité.
- Maintien du collectif : points d’équipe réguliers, moments de convivialité, incitation à conserver des jours de présence au bureau.
- Prévention cyber : formation des salariés, VPN sécurisés, authentification à double facteur.
Conclusion : transformer l’essai du télétravail
Le télétravail est là pour durer. Mais il ne doit pas être idéalisé : mal anticipé, il devient un accélérateur de risques physiques, psychologiques et organisationnels. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi de nombreuses entreprises ajustent aujourd’hui leur politique en imposant un retour partiel sur site, afin de restaurer cohésion et équilibre.
Les entreprises ont donc tout intérêt à investir dans la prévention, en associant aménagement matériel, sensibilisation et suivi organisationnel. C’est à ce prix que le télétravail deviendra un véritable levier de performance durable, au service de la santé des salariés comme de l’efficacité des entreprises.
Cinésis Solutions Prévention Santé peut vous accompagner dans cette démarche, en identifiant les risques spécifiques liés au télétravail( Formation gestes et postures Prévention TMS pour le télétravail FGPTT) et en proposant des solutions concrètes, adaptées à vos équipes.
Auteur : Johann Divaret, Cinésis Solutions Prévention Santé.