La délégation de pouvoirs n’est pas une assurance tous risques !

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Toute société commerciale connaît l’importance des délégations de pouvoirs, notamment en matière d’hygiène et de sécurité. Issues de la pratique, consacrées essentiellement par la jurisprudence, ces délégations de pouvoirs sont particulièrement présentes dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie.

Et pour cause, selon le rapport « Risques Accidents du Travail » 2008 de la Direction des Risques Professionnels, sur 569 décès liés à un accident du travail, 273, soit près de la moitié, ont été constatés dans le secteur de l’industrie et de sa maintenance. Selon la même source, sur pas moins de 44 037 accidents engendrant une incapacité permanente, plus de 20 000 concernent ce même secteur. Qu’il s’agisse par exemple de chutes, d’objets en mouvement, d’appareils de manutention en fonctionnement ou encore de l’utilisation de véhicules, les risques sont omniprésents.

Or, qui dans une usine ou sur un chantier, est investi d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité est tenu par les tribunaux pour « responsable pénal » et donc coupable en cas d’infraction. A ce titre, cette personne pourra être reconnue coupable et condamnée en cas de violation d’une règle de sécurité ayant entraîné ou non des dommages aux ouvriers. On comprend pourquoi les secteurs du bâtiment et de l’industrie sont le terrain d’élection privilégié de ces délégations de pouvoirs. Malheureusement dans ces activités, l’enjeu de cette quête d’une responsabilité pénale certaine est souvent aussi celui d’une condamnation pour homicide involontaire.
Traditionnellement, la jurisprudence exige pour qu’une délégation de pouvoirs soit déclarée valide la réunion de trois éléments constitutifs et cumulatifs : Autorité, compétence et moyens. Dit autrement, le salarié à qui le supérieur hiérarchique délègue ses pouvoirs doit :

  • être investi de l’autorité suffisante pour faire respecter la réglementation applicable,
  • avoir la compétence nécessaire et donc avoir été formé dans les matières objet de la délégation,
  • avoir les moyens nécessaires pour mettre en œuvre la règlementation (par exemple, des équipements de protection individuelle pour chacun des ouvriers).

C’est par application de cette jurisprudence classique et constante qu’aux termes d’un arrêt du 8 décembre 2009, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation vient de confirmer un arrêt d’appel ayant condamné un chef d’entreprise.
Malgré deux délégations de pouvoirs, écrites, au bénéfice de son chef de chantier, ce dirigeant social a été poursuivi et condamné pour violation de règles de sécurité sur un chantier sur lequel intervenait son entreprise. La Cour d’appel, confirmée en cela par la Cour de Cassation, a estimé que les délégations de pouvoirs invoquées pour justifier une relaxe ne pouvaient être retenues à son bénéfice. La Cour indique qu’il n’est pas établi que le chef de chantier, relativement jeune au moment des faits, avait la compétence et l’autorité nécessaire en matière de sécurité.
Cet arrêt rappelle ainsi une conséquence évidente de la jurisprudence applicable aux délégations de pouvoirs : c’est au chef d’entreprise poursuivi devant un tribunal correctionnel qu’il revient d’établir la réalité de la déclaration de pouvoirs en apportant au Tribunal tous les éléments de faits (organigrammes, plans de formation, preuve des achats d’EPI, etc) propres à prouver « autorité, compétences et moyens » dont bénéficie le salarié.
Un simple écrit, même signé de son salarié, ne suffit pas à exonérer le dirigeant social.
Cela est vrai en matière de sécurité sur les chantiers … Cela est vrai en toute matière dès lors que le dirigeant social souhaite ou doit déléguer ses pouvoirs. La délégation de pouvoirs ne doit pas être que formelle mais réelle.

Auteur : Me Bertrand de Haut de Sigy et Me Laurent Moreuil, Avocats Associés chez SBKG & associés

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