L’an dernier, presque jour pour jour, l’ex DRH d’Orange Bruno Mettling rendait un rapport sur l’impact du numérique au travail (voir notre article). Au cœur de ce rapport, un nouveau concept que la loi travail devait intégrer : le devoir de déconnexion pour les salariés. Douze mois plus tard, la loi en question est adoptée, et le devoir de déconnexion oublié. Le législateur a préféré se concentrer sur le droit à la déconnexion. À partir du 1er janvier prochain, ce droit devra – entre autres – être évoqué lors de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Si l’idée d’obligation du côté du salarié n’apparaît plus dans le texte, sur le terrain en revanche ça n’est pas vraiment le cas. Souvent, chez les entreprises qui ont déjà travaillé sur la question, on remarque que les dispositions prises impliquent autant le management que les salariés.
La loi du 8 août 2016
Ce fut le projet de loi travail ou El Khomri, c'est désormais aussi la loi du 8 août 2016, date de sa signature et veille de sa publication au Journal officiel.
De la réforme de la visite médicale aux changements sur la durée du travail, en passant par la réforme de l'inaptitude, nous vous détaillerons tous les changements ayant un impact sur la santé-sécurité au travail dans les semaines qui viennent.
Après les missions du CHSCT (voir notre article), le travail détaché (voir notre article), l'expertise CHSCT (voir notre article), l'inspection du travail (voir notre article), le régime probatoire du harcèlement (voir notre article) et les agissements sexistes (voir notre article), ou encore les repérages avant travaux sur des matériaux potentiellement amiantés (voir notre article), aujourd’hui c’est au tour du droit à la déconnexion de faire l’objet d’un article.
Négociation et accord
À la Poste, l’article 55 de la loi travail ne devrait pas changer grand chose en terme de déconnexion. Il impose d’aborder le droit à la déconnexion dans le cadre de la NAO sur l’égalité professionnelle (article L. 2242-8 du code du travail). Qu’elle débouche ou non sur un accord. Chez les postiers, cet accord est signé depuis juin 2015. "L’équipement de l’entreprise en matériel informatique et en smartphone s’accélérait", explique Florence Wiener, directrice de la stratégie sociale et de la qualité de vie. Même cause, même remède à la Société générale, où l’accord date de 2013, "quand on a mis en place le télétravail", se souvient André Guy Turoche, responsable de la négociation sociale à la Société générale. Dans ces accords, les deux entreprises ont commencé par définir ce qu’était le droit à la déconnexion. "Le droit de ne pas répondre à des messages reçus en dehors de ses heures de travail", explicite Florence Wiener. "Mais c’est aussi s’abstenir de solliciter ses collègues sur ce temps-là". La Poste a aussi défini les cas de figure où il est possible de déroger au droit à la déconnexion. Si la santé d’un collaborateur est en jeu par exemple. La loi, elle, stipule que dans l’accord doivent être détaillées "les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion", et le détail des "dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques" que compte mettre en place l’entreprise pour assurer le respect des temps de repos et de congés.
Quels dispositifs de régulation ?
Plusieurs dispositifs sont possibles. "En France, les entreprises les plus à la pointe sur le sujet font de la sensibilisation et de la formation au bon usage des outils", relate Olivier Meriaux, directeur adjoint de l’Anact. À la Société générale et à la Poste, on sensibilise les managers ; mais pour ce qui est de la formation, on mise plutôt sur des outils explicatifs qu’on met à disposition de tous. Chez les premiers, une charte de déconnexion a été glissée avec les tablettes distribuées aux salariés. Chez les seconds, un mail expliquant comment paramétrer sa messagerie a été envoyé aux salariés. Dans les deux entreprises, les employés peuvent par ailleurs glisser un message dans leur signature automatique du type : "Vous n’êtes pas tenus de répondre à ce mail en dehors de vos heures de travail". À la Poste, on utilise aussi la fonction d’envoi en différé des emails. Et une fenêtre de déconnexion a été mise en place, de 20h à 7h30. Pour ceux qui travaillent en horaires décalés, ce créneau est "ajusté". On envisage même la mise au point d’un outil qui ferait apparaître un message pour chaque envoi de mail en dehors des heures de travail, comme "Êtes-vous sûr de vouloir envoyer ce courriel ?". Olivier Meriaux parle là de solutions "techniques", et met en garde contre une approche trop outils / système de la déconnexion qui occulterait "la vraie question" : celle de la charge de travail. Il déconseille aussi les solutions autoritaires, l’extinction des serveurs de messagerie en soirée et les week-end par exemple. "Ces approches ont peu de chance de réussir", selon lui.
Une charte oui, mais de terrain
En tout cas, elles séduisent peu les entreprises françaises semble-t-il. Ceci dit, de là à ne s’en tenir qu’à une charte pour traiter de la déconnexion, il y a un monde. La loi travail, toujours en son article 55, précise que si la NAO n’aboutit à aucun accord, alors le droit à la déconnexion doit faire l’objet d’une charte après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. Ce qui laisse Olivier Meriaux assez sceptique. "Comme sur beaucoup de sujets, l’effectivité de la charte va être centrale", commente-t-il. "Elle n’est pas inutile, mais elle doit être adaptée au terrain et aux leviers de l’entreprise, souvent elles sont trop standardisées". Selon la loi, ces chartes doivent en tout cas mentionner deux éléments : les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion, et les actions de formation et de sensibilisation prévues pour former le personnel, l’encadrement et la direction "à un usage raisonnable des outils numériques". Pour réussir sa charte, le directeur adjoint de l’Anact recommande aussi de l’élaborer "dans une dynamique de collaboration". Le document doit encore, selon lui, prendre en compte l’ensemble des façons dont les outils numériques sont utilisés (collective, individuelle, etc.), et prévoir des critères de mise en oeuvre. Reste qu’il n’a pas de valeur prescriptive, et n’est "pas opposable juridiquement". Pas plus que les dispositions prises par la Poste et la Société générale avec leur accord, finalement. "Aucune sanction n’est prévue pour ceux qui n’appliqueraient pas le droit à la déconnexion", souligne Florence Wiener, "mais on l’a présenté comme quelque chose qui doit être respecté"...
Deux outils de guidage attendus
Quels indicateurs de pilotage pour la mise en place du droit à la déconnexion en entreprise ? La loi ne le dit pas. Néanmoins, son article 57 annonce la parution prochaine de deux supports qui pourraient guider les employeurs dans leurs démarches. Le premier est un guide des bonnes pratiques qui servira lors de la négociation d’une convention ou d’un accord d’entreprise sur le télétravail. Il sera élaboré par les partenaires sociaux, si la concertation sur le télétravail annoncée par la loi a bien lieu. Certains syndicats ont confirmé que ce serait le cas. D’autre part, d’ici au 1er décembre le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur "l’adaptation juridique des notions de lieu, de charge et de temps de travail liée à l’utilisation des outils numériques".
Auteur : Par Claire Branchereau, actuEL-HSE.
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