On entend de plus en plus l’injonction faite aux entreprises de redonner du sens au travail dans un monde dont le pouvoir de décision, nous dit-on, sera de plus en plus gouverné par les machines.
Les philosophes entendent par sens « la destination des êtres humains et de leur histoire, la raison d'être de leur existence et de leurs actions, le principe conférant à la vie humaine sa valeur » ce qui amène quelques réflexions sur le paradoxe que nous vivons actuellement.
A la Bourse, puisque ce sont les algorithmes qui décident des transactions en analysant les données financières à leur disposition, les hommes ont été supplantés. Ce sont donc bien les machines qui passent les ordres grâce à leur rapidité d’analyse des chiffres.
Les informaticiens d’autre part, avouent ne pas être en capacité aujourd’hui de prévoir comment l’IA réagira notamment pour la voiture automatisée par rapport à des situations exigeant un choix moral.
Les machines n’endosseront pas la responsabilité de décisions malheureuses prises en toute logique par des systèmes que nous avons créés mais qui peuvent échapper au contrôle de leurs concepteurs.
On assiste donc à un formidable paradoxe entre l’injonction faite aux managers de donner du sens au travail et la course à la digitalisation dont nous n’avons aucune visibilité à ce jour sur ses effets dans le monde du travail.
Nous entendons par là les effets sur le poste de travail, les impacts sociaux et économiques réels.
Quel est donc le bon sens ou la bonne direction à donner aux collaborateurs dans un monde dont on ignore pour le moment si la digitalisation sera bénéfique ou pas sur le travail ? Il n’y aurait financièrement aucun sens à conserver des postes inutiles dont les tâches seraient réalisées par des robots. Le « bon sens » voudrait donc que la performance tellement vantée soit obtenue essentiellement par la réduction de la masse salariale. Quelle pertinence alors pour le citoyen à soutenir cette transition digitale qui le priverait éventuellement de son emploi ? La raison économique du digital peut confiner à l’absurde pour le salarié.
On sait déjà que l’inflation de procédures et le management par processus ont retiré le sens du travail bien fait, à celui qui ne voit plus le résultat final de la tâche qu’il réalise. Si nous n’avions pas à nous préoccuper du sens, c’est que le travail ne nous concernerait pas ; c’est parce que justement nous donnons une valeur à nos actions dans le travail, que nous lui attribuons du sens et que nous sommes victorieux sur le non–sens.
Mais si cette chaîne de tâches est soumise aux machines dont les buts ne sont pas forcément ceux auxquels les clients ou les parties prenantes aspiraient au préalable, quel sera le sens à donner à cette domination informatique de nos vies ? L’acceptation d’une reddition de l’intelligence humaine, le désir d’une abdication à réfléchir par ses propres moyens ? N’est–ce pas l’essence même de la réflexion et de l’action qui sera supprimée pour le plus grand nombre ? N’est–ce, comble de l’ironie, le renversement de la quête de sens, où le non–sens devient alors le sens commun.
Est-on en capacité de prévenir ce risque bien réel ?
Auteur : Evelyne GUFFENS, EPITOME-CONSEIL.