Troubles musculosquelettiques chez les travailleurs saisonniers : une problématique ignorée mais cruciale

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Dans l’univers de la santé et sécurité au travail, certains groupes de travailleurs restent largement invisibles. C’est le cas des travailleurs saisonniers, particulièrement dans le secteur de la transformation alimentaire, qui sont pourtant nombreux à souffrir de troubles musculosquelettiques (TMS) au dos, aux épaules, aux genoux ou aux poignets. Ces douleurs, souvent chroniques, sont causées par des tâches répétitives, des postures contraignantes et des cadences élevées, imposées par des contraintes de temps et d’organisation.

Or, malgré leur forte présence dans l’économie de nombreuses régions rurales du Québec, ces travailleurs et travailleuses bénéficient rarement d’initiatives préventives bien adaptées à leur réalité. C’est ce que souligne une récente recherche menée par Marie-Eve Major, professeure à l’Université Laval, en collaboration avec l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). L’objectif : comprendre ce qui freine ou facilite la mise en place d’interventions ergonomiques efficaces pour prévenir les TMS dans ce contexte spécifique.

Un terrain complexe et sous-documenté

La recherche a été réalisée dans trois entreprises de transformation alimentaire situées en région rurale et embauchant du personnel saisonnier. L’équipe de recherche a mené des entrevues avec plus de 80 acteurs clés — travailleurs, gestionnaires, responsables SST, ergonomes et syndicats — et a compilé 112 facteurs facilitants, 106 obstacles et 86 facteurs jugés neutres à l’implantation d’une démarche de prévention.

Parmi les principaux défis, on note l’imprévisibilité de la production (dépendante des conditions climatiques et des ressources naturelles), le manque de temps pour planifier des actions préventives, ainsi qu’un déficit de connaissances sur les TMS chez les responsables d’entreprise. En outre, les travailleurs saisonniers eux-mêmes sont souvent exclus des démarches en santé-sécurité, car leur passage dans l’entreprise est perçu comme trop temporaire pour justifier un investissement en prévention.

Des leviers à saisir malgré tout

Malgré ces freins, l’étude identifie aussi des leviers porteurs de changement. Le premier est la reconnaissance croissante, tant par les employeurs que par les employés, de la gravité des TMS et de leurs impacts sur la santé et la performance au travail. D’autres facteurs, comme la volonté de certaines entreprises de mieux intégrer la santé au travail dans leurs pratiques de gestion, la présence d’ergonomes ou la mise en place de formations ciblées, offrent des pistes d’action concrètes.

Les chercheurs soulignent aussi que cette typologie des facteurs pourrait s’appliquer à d’autres secteurs employant des travailleurs saisonniers, comme l’agriculture, la construction, l’hôtellerie ou la restauration. Dans tous ces domaines, une approche préventive adaptée aux réalités temporaires et variables du travail saisonnier est nécessaire.

Mieux outiller pour mieux prévenir

L’étude conclut que la prévention des TMS en contexte saisonnier ne pourra être efficace qu’en tenant compte des dynamiques particulières à ces milieux : rythmes de production intenses mais courts, variabilité des tâches, isolement géographique, et invisibilisation fréquente des travailleurs saisonniers. La connaissance fine des leviers et obstacles identifiés constitue un outil précieux pour bâtir des interventions concertées, durables et, surtout, ancrées dans la réalité du terrain.

En somme, il est temps de sortir les travailleurs saisonniers de l’ombre. Car prévenir les TMS chez eux, c’est aussi reconnaître leur rôle essentiel dans nos économies locales et leur droit fondamental à un environnement de travail sain.

Source : Prévention des troubles musculosquelettiques en contexte saisonnier : un défi pour les milieux de travail.

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