L'analyse de l'expert
" Sans disposer de l’intégralité des éléments de contexte, il faut toujours rester prudent quant aux conclusions tirées d’une seule séquence vidéo.
Ici, nous observons un salarié qui procède seul à une opération d’élingage et de levage d’une pièce lourde à l’aide d’un palan électrique. Alors qu’il commande lui-même la montée, le palan vient s’accrocher de manière intempestive dans la pièce, provoquant le basculement brutal de celle-ci. La charge bascule et tombe sur le salarié, le maintenant coincé (heureusement dans une cavité lui permettant de s'en sortir sain et sauf) avant que ses collègues n’interviennent pour le dégager.
Cet accident met en lumière la nécessité d’analyser les conditions réelles d’exécution du travail, de confronter la procédure prévue à la réalité du terrain, et d’associer les opérateurs, témoins et encadrants à l’analyse pour comprendre les mécanismes ayant conduit à l’événement.
Cet accident nous montre l'intérêt de réaliser les analyses AT du point de vue de l'activité réelle et autant que faire se peut, en présence des victimes, témoins, et personnes maitrisant le process réel afin d'en comprendre les tenant et les aboutissant.
Par exemple voici quelques exemples de questions à se poser en parallèle de la réalisation de l'arbre des causes ou d’hypothèses que l’on peut émettre :
Comprendre la gestion de la commande et de l’arrêt d’urgence
Le salarié est à la fois opérateur d’élingage et conducteur de la commande, ce qui concentre sur lui plusieurs rôles.
-> En cas d’accrochage ou de mouvement imprévu, la réaction peut être retardée : l’opérateur doit relâcher la commande, s’éloigner et comprendre la cause du déséquilibre, ce qui prend plusieurs secondes précieuses.
Il est nécessaire de disposer d’un bouton d’arrêt d’urgence facilement accessible, et d'organiser les opérations de manière à pouvoir les interrompre immédiatement en cas de doute ou d’anomalie perçue.
Une formation pratique sur les réflexes d’arrêt et la gestion d’incidents mécaniques est recommandée.
Comprendre le geste et la position du salarié
Le salarié exécute la manœuvre de levage et reste proche de la charge pour suivre visuellement le déplacement du crochet. On voit à la fin de la vidéo que le système d'arrimage de la charge semble se trouver à l'opposer.
- Pourquoi le palan se trouve de ce côté de la charge et si proche ?
- Pourquoi l'opérateur reste -t- il a proximité de la charge (fin de course? Blocage fréquent? Opérations qui s'enchainent? Fatigue?...) ?
- Le système ne permettait-il pas de travailler à distance ?
-> Fréquemment, les opérateurs se positionnent près de la charge pour « mieux voir », faute d’aides visuelles, de repères ou d’un second opérateur pour guider, ici le poste semble dégager ce qui interroge.
Comprendre l’accrochage et le basculement
Le palan s'est accroché involontairement dans un point non prévu de la pièce, créant une traction et un déséquilibre de la pièce. Il est difficile de voir quelle partie de palan s'est prise dans la pièce (croc?)
Plusieurs facteurs peuvent être envisagés :
- Présence d’arêtes ou de saillies sur la pièce ?
- Présence d’arêtes ou de saillies sur la pièce sur le palan ?
- Défaut du linguet de sécurité du croc ?
- Manque de vérification préalable de la trajectoire du crochet ?
- Manque d'étaiement de la charge ?
Comprendre l’organisation et les conditions de travail
L’opérateur agit seul, cumulant les fonctions d’élingueur et de conducteur du treuil. Ce cumul supprime la vigilance croisée et retarde la perception du danger. De plus, la zone de levage ne semble pas matérialisée ni sécurisée.
-> La réglementation stipule qu’un chef de manœuvre doit être désigné lorsque la visibilité sur la charge est partielle ou lorsque le conducteur ne peut pas voir la totalité du mouvement ce qui pourrait être le cas ici, selon l'intention du déplacement dans l'atelier.
-> On peut s'interroger sur la formation à l'élingage de l'opérateur.
Comprendre la gestion de la commande et de l’urgence
L’opérateur dispose de la commande, mais la manœuvre de levage semble avoir été poursuivie quelques secondes après l’accrochage, le temps de comprendre la situation. → La présence d’un bouton d’arrêt d’urgence immédiatement accessible est essentielle pour interrompre la montée dès qu’une anomalie est constatée.
L’INRS et l’OPPBTP insistent sur la formation pratique à la gestion des incidents de levage, afin que les opérateurs sachent réagir immédiatement sans tenter de « rattraper » la manœuvre. On voit ici que les collègues ont su réélinguer la charge pour le dégager en urgence.
Recommandations de prévention :
- Formation spécifique à l’élingage et à la conduite des appareils de levage
- Formation pratique obligatoire (Code du travail R.4323-55).
- Maîtrise des signaux, de la lecture de charge et du choix des élingues. (Réf. : INRS ED 6178, OPPBTP – Formation élingage)
- Contrôle du matériel avant chaque levage
- Vérification du linguet, des crochets, de l’état des élingues et des points d’ancrage.
- Écarter tout matériel présentant un défaut ou une déformation.
- Organisation du travail et aide visuelle
- Éloigner le poste de commande de la zone d’évolution.
- Utiliser des moyens de guidage (miroir, caméra, second opérateur).
- Interdire la présence dans l’axe de levage.
- Sécurisation de la charge
- Identifier le centre de gravité avant levage.
- Prévoir des cales ou appuis pour stabiliser la pièce.
- Ne jamais lever sans tension progressive et contrôle visuel de la stabilité.
- Gestion des situations d’urgence
- Bouton d’arrêt d’urgence à portée de main.
- Formation à la réaction immédiate (arrêt, signalement, alerte).
- Communication et coordination
- Si plusieurs personnes sont impliquées, définir un seul conducteur et un seul signaleur.
- Utiliser un langage gestuel et des signaux normalisés.
- Suivi et retour d’expérience
- Après chaque incident ou quasi-accident, analyser les causes techniques et organisationnelles.
- Ajuster les modes opératoires et renforcer la formation ciblée.
Conclusion
Cet accident illustre la dangerosité des opérations d’élingage lorsqu’un accrochage parasite survient et que l’opérateur se trouve dans la zone d’action de la charge. Les causes sont souvent multiples : défaut de matériel, manque d’anticipation du comportement de la charge, ou posture contrainte due à une conception de poste inadaptée.
La prévention passe par :
- une préparation minutieuse du levage,
- une vérification systématique du matériel,
- un positionnement sûr du poste de commande,
- et une formation renforcée sur la gestion des anomalies et urgences.
L’élingage reste une opération de précision : chaque geste, chaque commande et chaque vérification contribuent à éviter qu’une routine ne se transforme en drame. "
Ressources :
- Mémento de l'élingueur ED 6178
- Code du travail, section 5 : Dispositions particulières applicables aux équipements de travail servant au levage de charges : Section 5 : Dispositions particulières applicables aux équipements de travail servant au levage de charges (Articles R4323-29 à R4323-49) - Légifrance
avec Inforisque.
Le concept #balancetonrisque
Le concept #balancetonrisque est un partage à visée pédagogique créé par Inforisque. Tous les jeudis, retrouvez dans la lettre du risque une vidéo commentée et analysée par un expert HSE.