Des procès liés aux risques psychosociaux

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Faute inexcusable, mise en danger d'autrui, suicides qualifiés en accident du travail, harcèlement moral institutionnel… Les contentieux juridiques liés aux risques psychosociaux se développent, créant des problématiques nouvelles pour les praticiens du droit. Et surtout, pour les employeurs, qui ne peuvent plus prendre la prévention à la légère.

« Homicide involontaire par imprudence, négligence, manquement à une obligation de prudence et inattention » : c’est sur ce fondement que le Parquet de Besançon (Doubs) a ouvert, mercredi 17 mars, une information judiciaire à l’encontre de France Télécom et d’un ancien responsable du secteur Bourgogne –France Comté. Cette procédure exceptionnelle en France fait suite au suicide d’un jeune technicien de 28 ans sur le site de Besançon, en août dernier. Après une série noire marquée par plus de trente suicides depuis 2008 et de dix nouveaux drames depuis le début de l’année, l’opérateur se retrouve donc pour la première fois poursuivi au pénal, en tant que personne morale. A l’origine de cette procédure inhabituelle en matière de risques psychosociaux, un rapport de l’Inspection du travail qui avait pointé du doigt les perturbations professionnelles vécues par le jeune homme, victime d’un changement brutal de métier, sans mesure de formation, et d’une dégradation de ses conditions de travail, malgré les alertes de la médecine du travail, du CHSCT et des élus.

C’est dans ce contexte que la fédération SUD PTT et SUD PTT 25 ont décidé aujourd’hui de déposer plainte au pénal et de se constituer partie civile dans l’affaire. « Même si les condamnations sont symboliques, les responsabilités pénales des responsables doivent être engagées pour montrer que l’organisation du travail et le management sont pathogènes. Il faut que les droits des salariés en matière de risques psychosociaux progressent », estime Jean-Michel Bénichou, délégué syndical SUD-PTT. Cette action se situe dans la continuité d’une première plainte au pénal du syndicat déposée auprès du Procureur de Paris contre France Télécom et ses dirigeants. En février dernier, Sylvie Catala, l’inspectrice du travail chargée de l’enquête sur les suicides à France Télécom, avait établi un rapport pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « harcèlement moral. » L’opérateur n’avait pas pris, selon l’inspectrice, les mesures pour éviter les risques d’atteinte à la santé mentale de son personnel.

De la faute inexcusable au harcèlement moral institutionnel

La judiciarisation des atteintes à la santé psychique des salariés devient donc une réalité qui ne s’observe plus seulement sur le terrain des juridictions civiles. En 2008, une première tentative de pénalisation des problématiques psychosociales avait émergé à l’encontre de Renault, mis à l’index par l’Inspection du Travail pour « harcèlement moral institutionnel », suite à plusieurs suicides. Mais le dossier n’avait finalement pas donné lieu à des poursuites pénales. Aujourd’hui, le cas France Télécom pourrait donc annoncer une ère de durcissement des litiges. « Les risques psychosociaux font émerger de plus en plus de contentieux", a constaté Pierre-Yves Verkindt, professeur de droit à l’Université de Paris 1, lors d’un débat de la Lettre des Juristes d’Affaires. Il les classe en trois catégories : les contentieux directs (liés au harcèlement moral), les contentieux dérivés (qui se réfèrent par exemple aux procès pour faute inexcusable auprès du Tribunal des affaires de sécurité sociale) et les contentieux cachés (concernant en particulier les licenciements pour insuffisance professionnelle ou pour motif personnel). En toile de fond de ces litiges, domine la notion d’obligation de sécurité de résultat qui, depuis les arrêts « amiante » de 2002, s’est étendue à tout le champ de la santé au travail, jusqu’aux affections psychiques.

Par cette obligation, les entreprises doivent prendre toute mesure utile de prévention, d’information et de formation et mettre en place une organisation de travail adaptée, en veillant à ce que ne survienne aucun événement susceptible de mettre en danger ses salariés. C’est dans ce contexte qu’ont émergé, à partir de 2007, les contentieux liés à la faute inexcusable de l’employeur. Un exemple : celui de Renault, condamné en décembre dernier, suite au suicide d’un salarié du Technocentre, en 2006. Les juges ont estimé que le constructeur aurait du « avoir conscience du danger » et qu’il n’a pas pris les mesures pour éviter le drame.

Extension de l’obligation de sécurité de résultat

Depuis la récente tendance de la Cour de Cassation à ne plus considérer le harcèlement moral comme nécessairement intentionnel et surtout, depuis son arrêt du 3 février 2010, les entreprises sont sous pression. Dans cette dernière affaire de harcèlement moral et sexuel, l’employeur a eu beau prendre des mesures pour faire cesser ces agissements, la chambre sociale a estimé qu’il avait failli à son obligation de sécurité. « Le seul salut pour les employeurs est de miser sur la prévention, mais cette notion est elle même assez complexe à appréhender vu qu’il est difficile d’éviter les risques, compte tenu de la complexité des relations humaines au travail », estime Yamina Tarasewicz, avocat associé au sein du cabinet Proskauer Rose. A défaut de parvenir au risque zéro, les directions ont quoiqu’il en soit intérêt à mettre en place de vrais plans d’actions, en impliquant tous les acteurs de l’organisation, si elles ne veulent pas accumuler les condamnations.

Auteur : Marie-José Gava, Novethic

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