Démarrée en 2000, l’étude Interphone est la plus grande étude cas-témoin sur la téléphonie mobile et les tumeurs du cerveau conduite à ce jour. Dans un contexte de préoccupations liées à de potentiels effets néfastes des ondes électromagnétiques sur la santé, ses résultats étaient très attendus.
Conduite sous l’égide du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), elle a consisté à interroger 2.708 personnes atteintes de gliome et de 2.409 autres de méningiome et leurs témoins appariés dans 13 pays (1), sur leur usage passé du portable.
Sa publication a été reportée à plusieurs reprises en raison de difficultés d’interprétation et de divergences entre les 21 chercheurs du groupe Interphone (2). Des analyses supplémentaires ont été menées pour essayer de clarifier l'impact des différents biais possibles.
Des résultats partiels de l’étude avaient néanmoins déjà été publiés. En 2007, le volet français n'avait trouvé aucun lien entre une utilisation régulière d'un téléphone portable et une hausse du risque de méningiome, de gliome ou de neurinome. Une augmentation du risque de gliome mais non statistiquement significative avait été observée pour les plus grands utilisateurs (3).
Deux ans et demi plus tard, l’étude globale publiée dans l'International Journal of Epidemiology n’a pas non plus observé d’augmentation de risque pour les gliomes ou les méningiomes, plus de 10 ans après la première utilisation d’un téléphone portable.
Un risque accru de gliomes (+40%), et de méningiomes (+15%), a été suggéré pour les plus gros utilisateurs -environ une demi-heure par jour- et généralement du même côté de la tête que celui du téléphone. Les auteurs estiment toutefois que des biais et erreurs -comme le fait que les personnes atteintes de tumeurs aient tendance à surestimer leur usage passé du téléphone-, empêchent d'établir une interprétation causale.
« L'étude ne met pas en évidence un risque accru, mais on ne peut conclure qu'il n'y a pas de risque, car il y a suffisamment de résultats qui suggèrent un risque possible », a indiqué à l'AFP Elisabeth Cardis, chercheur principal de l'étude et membre du Centre de recherche en épidémiologie environnementale (CREAL) de Barcelone.
Un risque plus faible de tumeurs a également été observé chez les non utilisateurs réguliers de portable. Cet effet apparemment protecteur du téléphone peut refléter, selon les chercheurs, un biais de sélection. « On a montré une surreprésentation des utilisateurs fréquents de portables parmi les ‘témoins’, pouvant conduire à une sous-estimation du risque », explique Martine Hours, épidémiologiste à l’Inrets et co-signataire de l’article.
Globalement, ces résultats paraissent rassurants. Néanmoins, des scientifiques soulignent que la durée de l’étude était peut-être insuffisante. « Le fait que l’on ne montre pas de risque à 10 ans d’utilisation peut aussi signifier qu’il se manifestera plus tard, ou qu’il s’agit d’un risque ’faible’ caché par un biais méthodologique », précise Martine Hours.
En outre, depuis la conduite de l’étude il y a 10 ans, l’usage des portables est devenu plus fréquent, notamment chez les jeunes, même si la puissance des téléphones a parallèlement diminué. Les chercheurs du Circ souhaitent donc poursuivre les études. L’étude MobiKids lancée en 2009 et également coordonnée par Elisabeth Cardis, vise d’ailleurs à évaluer le risque de tumeurs cérébrales chez les enfants et adolescents. « L’analyse des données concernant le risque de tumeurs du nerf acoustique et de la glande parotide, deux autres cancers cérébraux est actuellement en suspens pour des raisons administratives et juridiques », indique Martine Hours.
Dans un communiqué commun, les associations Priartem et Agir pour l’environnement critiquent « une publication partielle d’Interphone après 10 ans d’attente ». Elles regrettent le report de la publication des résultats concernant les neurinomes de l’acoustique et les tumeurs des glandes salivaires (parotide). Un retard qui s’expliquerait, selon les ONG, par l’action de lobbying des opérateurs de téléphonie. Selon le Circ, le financement global d’Interphone s'élève à environ 19,2 millions d'euros dont 5,5 millions € proviennent de sources industrielles (opérateurs et fabricants de téléphones portables notamment), à travers des systèmes de « pare-feu » garantissant l’indépendance de l’étude.
Auteur : Sabine Casalonga, JDLE
- (1) Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Israël, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et Suède.
- (2) Dans le JDLE « Téléphonie mobile: l’étude Interphone dans les tuyaux »
- (3) Dans le JDLE « Portable: l’étude française d’Interphone est parue »
- Communiqué du Circ
Pour aller plus loin :
- Interphone : la nocivité des mobiles n’est pas prouvée par Stéphane Long, 01net
- La nocivité du mobile n'est toujours pas prouvée par Guénaël Pépin, ZDNet France.