Santé et sécurité au travail : un défi à relever au Tchad... comme ailleurs...

Classé dans la catégorie : Risques pour l'Homme au travail

En 2002, le Bureau International du Travail (BIT) a dénombré plus de deux (2) millions de personnes mortes dans le monde entier à cause des accidents du travail ou des maladies professionnelles (ATMP), 270 millions d’accidents du travail et 160 millions de cas de maladies professionnelles. Ces chiffres, à eux seuls, sont révélateurs des enjeux de la lutte contre les risques sur les lieux du travail.

Le travail tue encore au XXIème siècle. La question de la santé et de la sécurité au travail (SST) devient importante au moment où certains pays choisissent l’industrialisation et les grands travaux comme mode de relance économique. De même, de nombreuses entreprises ne perçoivent pas encore les enjeux de la prévention des risques professionnels, et se livrent à une concurrence acharnée dans le cadre de la mondialisation en général et de leur processus de développement en particulier, en exigeant une main d’œuvre qualifiée, saine, active et dynamique.

Une perception erronée de la réalité

Le BIT estime que le coût économique des ATMP s’accroît rapidement. Il est impossible de chiffrer la valeur d’une vie humaine, mais si l’on en juge par les indemnités versées, 4 % environ du PIB mondial disparaissent avec le coût des lésions professionnelles : absence de travailleurs malades, traitement des maladies, incapacité de travail et pensions de survivants. Le défi s’impose à la fois aux organisations et à l’administration du travail de faire de la prévention des risques professionnels une priorité. Le Directeur général du BIT, Juan Samovian pense que le monde a le devoir moral d’agir. " Nous avons vu le coût humain de l’inaction. Cela a aussi un coût économique - la perte en termes de produit intérieur brut qui en résulte est vingt fois supérieure à toute l’aide publique au développement que reçoivent les pays en développement ".

Au Tchad, la faiblesse de l’intervention de l’État dans le domaine de la SST est doublée d’une croyance erronée de la part de nombreux salariés qui continuent de croire que les ATMP relèvent de la fatalité : "Yanki Allah gué” ou “Allah djallah " (“c’est la volonté de Dieu” en sar et arabe). Dans cette même logique, certains employeurs attendent que les risques atteignent un niveau grave avant d’intervenir. Et pourtant, les ATMP ont des conséquences aussi bien sur la vie des travailleurs et de leurs familles que sur la productivité des entreprises et partant sur le développement socio-économique des pays. Le développement des entreprises nationales et l’implantation des entreprises étrangères ont pris de l’ampleur durant cette dernière décennie au Tchad. Les risques professionnels existent, et s’ils ne sont pas maîtrisés, ils peuvent occasionner des ATMP. De nos jours, de nombreux chercheurs estiment que les problèmes de SST sont devenus un enjeu fondamental dans l’entreprise du fait que les coûts humains et financiers continuent d’accaparer une partie de la marge de manœuvre des firmes.

Les plus démunis, une couche vulnérable

La SST constitue un facteur important de la productivité des entreprises mais diversement appréciée sinon négligée. Elle cause d’énormes dégâts. Le degré de sécurité au travail varie considérablement selon les pays, les branches d’activité et les groupes sociaux. Le nombre de morts et de blessés est particulièrement élevé dans les pays en développement où beaucoup de personnes travaillent dans des secteurs dangereux comme l’agriculture, le bâtiment, les travaux publics, l’exploitation forestière, la pêche et les mines. Dans le monde entier, ce sont les plus démunis et les moins protégés - en général les femmes, les enfants et les migrants - qui sont les plus touchés. La mondialisation pousse les multinationales à délocaliser leurs usines vers des pays où la main-d’œuvre est plus abondante et moins coûteuse, qui sont aussi les pays où la structure sociale et les outils techniques de contrôle des risques professionnels sont les moins évolués. Concrètement, les équipements de protection tant collectifs qu’individuels n’existent pas ou presque pas dans certaines entreprises. Pire, de nombreux salariés s’occupent peu de leurs propres conditions de SST. Ils refusent le port des équipements s’il en existe.

Les revendications faites par le biais de leurs organisations représentatives sont, en général, focalisées sur les conditions des salaires et rarement sur les conditions d’hygiène, de santé et de sécurité au travail. Cela se traduit par le fait que les salariés, individuellement ou collectivement, ont tendance à se maintenir en emploi peu importe les conditions au détriment d’une vie décente et saine dans leur emploi. Ce qui fait que la problématique de la SST devient secondaire au niveau de nombreuses entreprises. L’on note de nombreuses absences pour maladie, une sous-déclaration des accidents de travail, une insuffisance des mécanismes de prévention des risques liés à l’activité professionnelle.

La SST, gage du développement de l’entreprise

Malheureusement, les entreprises du Tchad, se préoccupent plus du coût économique que des aspects sociaux. Une étude faite en 2004 rapporte que les cotisations à la sécurité pour accidents du travail varient de 1,2% à 12,9% de la masse salariale des entreprises en France, mais bien peu de chefs d’entreprises - en particulier patrons de PME- connaissent leur taux, preuve de leur manque d’intérêt pour la sécurité. Au regard de certains dirigeants d’entreprises, investir dans la prévention est considéré comme un gâchis. Or, investir dans les ressources humaines n’est jamais perdant, les retombées sont souvent perceptibles à long terme. Quelle entreprise n’a pas ressenti les effets de l’absence d’un salarié pour des raisons de maladie ou le décès prématuré d’un salarié compétent par suite d’accident de travail ? Un accident en plein processus ou une maladie liée au travail risque fort de compromettre aussi bien la qualité du produit que la performance de l’entreprise. Et s’il est grave, les objectifs ne seront pas atteints et l’image de l’entreprise s’en trouvera ternie.

La SST représente une problématique sociale importante qui a des incidences financières à la fois pour les organisations, les employés et la société. C’est dire que, plus il y a des accidents de travail ou des maladies, plus l’organisation doit prendre en charge les victimes : remplacement de la personne blessée ou décédée, formation, renforcement des dispositions techniques, réparation des dégâts, soins et dédommagements éventuels. L’organisation est obligée d’investir dans la vie des "inactifs" alors qu’il y a d’autres priorités essentielles pour son fonctionnement. L’absence des mécanismes fiables de prévention favorise une prolifération des ATMP. Plus grave encore, certaines entreprises se cachent derrière l’objectif utopique de zéro accident pour refuser de déclarer les accidents et ainsi se donner une " bonne image" pour gagner de nouveaux marchés ou renouveler leurs contrats.

Une situation préoccupante pour le Tchad

Malgré l’évolution des moyens et conditions de travail, de nombreux travailleurs, tchadiens ou non, exercent leur métier dans des conditions de santé et sécurité difficiles. Ils sont obligés de travailler sans équipements de protection afin de subvenir à leurs besoins au détriment de leur vie. Cela devrait interpeller le patronat et les gouvernements sur les conditions de SST, à chaque fois qu’ils lanceront des programmes de construction des infrastructures ou des actions de développement de l’économie nationale. Bien souvent, des décisions sont prises sans songer à la protection des travailleurs sensés mettre en œuvre ces programmes. Or, tout gouvernement a l’obligation de prendre des mesures conséquentes pour protéger la main d’œuvre nationale qualifiée, valide et expérimentée. Déjà, l’ancien premier ministre québécois Honoré Mercier a expliqué à l’Assemblée parlementaire du Québec (Canada), l’importance de promouvoir la SST dans les entreprises en ces termes : "Si vous laissez aller vos enfants dans les manufactures empoisonnées, leurs corps deviendront faibles et rachitiques et quand ils entreront dans le ménage, ils enfanteront des enfants faibles et rachitiques ; à la seconde génération, je ne sais pas si vous aurez la force naturelle nécessaire pour continuer la propagation indispensable à l’espèce".

En somme, il s’avère nécessaire que les pouvoirs publics et les partenaires sociaux se lancent véritablement dans la promotion de la SST pour le développement du pays. Les premiers par l’adoption des conventions de l’OIT sur la SST pour définir un cadre normatif et légal tout en renforçant les capacités technique et institutionnelle des inspections du travail chargées de veiller à leur application, les secondes devraient opter pour une démarche proactive dans la prévention des risques professionnels en élaborant des outils d’autodiagnostic pour anticiper sur les risques. A cet effet, il existe un outil d’autodiagnostic développé spécialement pour les entreprises de toutes les branches implantées au Tchad. Celles-ci peuvent l’utiliser sans contrainte. Cet outil s’inscrit dans une planification à la fois opérationnelle et stratégique. Bref, sans ressources humaines compétentes et protégées, il n y a pas développement.

Auteur : Ndjoulou Fidèle, Inspecteur du travail, CEFOD

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