Depuis quand RSF s’intéresse-t-il à la problématique de l’environnement ?
Fin 2009, nous avons déjà publié un premier rapport sur ce thème. Il faisait état d’une quinzaine de journalistes environnementalistes tués, agressés, emprisonnés ou censurés de par le monde. Dans ce nouveau rapport, nous avons étudié la situation plus en détail, en ciblant les thématiques de la déforestation - responsable de plus de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre - et des pollutions liées à l’exploitation minière, identifiées comme les plus sensibles.
Que révèle ce rapport ?
Globalement, il n’est pas risqué de parler d’environnement de manière générale dans la presse. En revanche, cela devient un problème quand le journaliste s’intéresse aux responsabilités et nomme des personnes impliquées dans des abus de pouvoir ou des affaires de corruption liés à ces sujets. Le pouvoir de certaines entreprises impliquées dans la déforestation leur permet d’utiliser la stratégie de la « carotte et du bâton », c'est-à-dire d’intimider les reporters ou « d’acheter » leur silence. Notre enquête révèle aussi le rôle joué par les autorités locales, souvent de mèche avec ces entreprises.
Pourriez-vous donner quelques exemples ?
Depuis notre dernier rapport, un journaliste en Indonésie a encore été menacé de mort pour avoir dénoncé l’implication d’un officier militaire dans un trafic de bois. Au Brésil, alors même que l’environnement est un sujet-phare de la politique nationale, un journaliste est victime de harcèlement judiciaire pour une série d’enquêtes sur la déforestation en Amazonie.
Comment s’explique l’augmentation de ces atteintes à la liberté de la presse ?
Les journalistes s’intéressent de plus en plus à l’environnement, surtout depuis le sommet de Copenhague. Et le respect de l’environnement est devenu un critère essentiel pour l’image d’un gouvernement. Un pays qui serait pointé du doigt pour une déforestation illégale massive, ou une pollution majeure, en pâtirait beaucoup.
Ainsi, à côté des « usual suspects » que sont la Birmanie et la Chine, des pays comme le Brésil, l’Indonésie ou la Malaisie, où la presse est libre, sont sur-représentés dans notre rapport du fait de l’importance de la déforestation.
Quid de la situation en Chine ?
La situation y est extrêmement paradoxale. Les autorités se vantent de promouvoir l’environnement, mais c’est de la poudre aux yeux ! Il existe bien des rapports dans la presse nationale, mais dès qu’une mobilisation citoyenne débute, la répression peut être assez dure, notamment envers les ONG et les militants écologiques, principales sources de la presse.
En outre, le contrôle des autorités chinoises s’exerce hors de Chine, comme au Vietnam où elle a investi dans des mines de bauxite. Une forte pression y est exercée sur les bloggeurs et les journalistes pour les empêcher de relayer les inquiétudes de la population quant aux impacts environnementaux et sanitaires.
Les pays développés sont-ils épargnés ?
Non, le groupe français Bolloré a ainsi porté plainte en diffamation contre des journalistes, suite à une enquête diffusée sur France Inter concernant les impacts sur l’environnement d’une exploitation de palmiers à huile d’une de ses filiales au Cameroun. Par ailleurs, une multinationale canadienne, Pacific Rim (mines) est suspectée d’être indirectement impliquée dans l’assassinat, au Salvador, de trois militants écologiques, collaborateurs d’une radio communautaire, en 2008 et 2009.
Enfin, la tentation de la censure existe au sein même de ces pays. Le groupe français Areva avait ainsi voulu imposer le secret-défense sur le transport des déchets radioactifs, il y a quelques années – tentative tenue en échec, suite à la mobilisation de la presse.
Quelle action internationale est-elle envisageable ?
Plus la presse est libre, plus la cause environnementale peut avancer. L’action de la communauté internationale sur ces sujets devrait donc être systématique. L’appel que j’avais lancé dans ce sens à Copenhague, à la suite de notre premier rapport, en partenariat avec d’autres associations journalistiques, a reçu de bons échos. J’ai constaté une mobilisation plus rapide sur plusieurs affaires. En témoigne la rapide libération Mohamed Attaoui, suite à une forte mobilisation de RSF, des ONG et des médias : ce journaliste marocain avait initialement été condamné à deux ans de prison pour avoir dénoncé la surexploitation de forêts de cèdres protégées dans l’Atlas.
Auteur : Sabine Casalonga, JDLE