C’est l’Observatoire Français des Drogues et de la Toxicomanie (OFDT) qui a tiré la sonnette d’alarme en 2010, en publiant des chiffres édifiants : 20% des accidents du travail sont liés aux addictions. Dans certaines professions, le constat est d’ailleurs plus qu’alarmant. 31% des salariés du BTP, 10% des chauffeurs routiers, 22% des marins, ou même 11 % des anesthésistes-réanimateurs travaillent régulièrement sous l’empire du cannabis ou d’autres drogues.
Aucun secteur professionnel n’est épargné. De ce fait, de plus en plus d’entreprises conduisent désormais elles-mêmes des actions de dépistage sur les salariés occupant des postes à risques. Éthylotests pour l’alcool, et tests salivaires pour les drogues.
Le laboratoire français NarcoCheck, spécialisé dans la fabrication tests de dépistage et d’outils de prévention, a vu les demandes des entreprises exploser ces derniers mois.
Frédéric RODZYNEK, fondateur du laboratoire NarcoCheck, basé à Villejuif, a répondu à nos questions.
inforisque.fr : Pouvez-vous nous présenter NarcoCheck en quelques mots ?
F.R. : Nous sommes fabricant de test de dépistage des drogues et de l’alcool. Nous commercialisons une gamme complète de tests urinaires, salivaires et capillaires de dernière génération pour le dépistage de la plupart des substances illicites.
inforisque.fr : Qui utilise ces tests ?
F.R. : A l’origine, ce sont les milieux médicaux. Hôpitaux, laboratoires, centres de désintoxication etc. Mais avec l’augmentation significative des accidents du travail impliquant l’usage de drogue, nous faisons face depuis deux ans à un développement sans précédent des demandes des entreprises. Elles sont de plus en plus nombreuses à nous contacter pour savoir comment agir face à ce problème hors normes. Cela n’a rien d’étonnant, car elles sont légalement responsables des dommages causés par leurs employés.
inforisque.fr : Une entreprise a-t-elle le droit de procéder à des dépistages de ses salariés ?
F.R. : Elle en a non seulement le droit, mais l’obligation légale, car l’article L.4121 du Code du Travail impose aux entreprises d’anticiper toute forme de risque et de mettre en place « des moyens adaptés » pour les prévenir, en tenant compte de « l’état d’évolution de la technique ». Aujourd’hui, nos tests de dépistage représentent une avancée technique incontestable, qui permet de réduire considérablement ces risques.
Cela dit, le dépistage en entreprise ne date pas d’hier. Il a été introduit par un arrêt du Conseil d’Etat en 1980 (appelé « Arrêt Corona »), qui définissait déjà les modalités d’utilisation de l’éthylotest en entreprise, afin de lutter contre l’état d’ivresse des employés occupant des postes à risques. A l’époque, le test salivaire de dépistage des drogues n’existait pas encore, mais les entreprises qui l’utilisent aujourd’hui se conforment aux mêmes dispositions légales. Il ne faut pas oublier que prévenir l’état d’ivresse des salariés, cela implique de considérer toute forme d’ivresse, que celle-ci soit alcoolique, cannabique, cocaïnique, amphétaminique etc.
inforisque.fr : Est-ce compliqué à mettre en œuvre ?
F.R. : Non, il suffit simplement de respecter certaines dispositions légales et de pratiquer les dépistages en suivant un protocole simple, mais précis.
Notre travail, c’est de fournir des outils de dépistage efficaces et fiables, mais aussi des conseils pratiques et juridiques aux entreprises qui veulent mettre en place une politique de prévention par le test.
Nous proposons des packages, incluant les tests de dépistage, ainsi que des supports de prévention. Par exemple, vous pouvez voir ici une affiche que nous avons réalisée pour une entreprise de BTP.
A la demande de nos clients, nous avons aussi créé un pôle formation, destiné à conduire des actions de sensibilisation et de prévention auprès du personnel.
inforisque.fr : Que pensez-vous de l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) sur la question du dépistage au travail, rendu public le 19 mai dernier ?
F.R. : Selon le CCNE, le dépistage de la consommation de drogue et d’alcool n’est justifié que pour les postes de sureté et de sécurité, c’est-à-dire les postes « où une défaillance humaine, ou même un simple défaut de vigilance, peut entraîner des conséquences graves pour soi-même ou pour autrui ». Là-dessus, nous sommes parfaitement en phase avec le Comité. Il est clair que dépister un grutier ou un manutentionnaire se justifie totalement, alors que le dépistage d’une secrétaire, par contre, ne saurait être justifié, car elle ne représente un danger pour personne dans le cadre de son travail.
Un grand pas en avant a donc été franchi et nous ne pouvons que nous en féliciter. Le CCNE a ouvert clairement la question du dépistage en entreprise, et le débat public va désormais pouvoir faire avancer les choses.
inforisque.fr : Le médecin du travail ne pourrait-il pas faire un dépistage lors de la visite médicale annuelle ?
F.R. : Bien sûr. D’ailleurs, certains le font. Mais, un seul dépistage par an, vous trouvez ça dissuasif, vous ? Par contre, savoir que le patron peut pratiquer un test inopinément en 10 minutes, là, cela change la donne. L’effet dissuasif joue à plein, car personne ne veut perdre son emploi pour « un p’tit joint » fumé pendant la pause.
inforisque.fr : En cas de doute sur la sobriété d’un employé, pourquoi ne pas s’adresser à la Médecine du Travail pour pratiquer un dépistage immédiat ?
F.R. : Parce que la Médecine du Travail n’est pas un service d’urgence. Elle n’est ni missionnée, ni organisée pour recevoir et dépister dans les deux heures, sans rendez-vous, des salariés soupçonnés d’être sous l’empire d’une drogue ou d’un état alcoolique. Les médecins du travail sont déjà totalement débordés. Qui oserait en plus leur demander de se réorganiser de façon aussi radicale ? Cela me semblerait totalement déraisonnable.
inforisque.fr : Face à la drogue, l’employeur est donc totalement livré à lui-même ?
F.R. : Non, absolument pas. La Médecine du Travail fait déjà un excellent travail de prévention des addictions lors des visites médicales annuelles. Elle est à l’écoute des salariés en prise avec une addiction et les aide à régler ce problème de fond. C’est une part indispensable de la lutte contre la consommation de drogue en générale, et sur le lieu de travail en particulier.
Mais imaginez que le chauffeur d’un de vos camions revienne de sa pause avec des signes révélateurs de la consommation de cannabis (yeux rouges, perte de reflexes, lenteur intellectuelle soudaine etc.) Dès lors, vous devez vous assurer immédiatement de son aptitude réelle à conduire, avant qu’il ne reprenne le volant. Quel centre de médecine du travail acceptera de recevoir votre chauffeur dans l’heure pour un dépistage ? Si vous avez de la chance, on vous proposera un rendez-vous 48 à 72 heures plus tard, ce qui vous empêchera totalement d’assurer sa sécurité et celle des autres usagers de la route. Savoir le jeudi que votre chauffeur n’était pas capable de conduire le lundi précédent, c’est comme faire un éthylotest 3 jours après avoir conduit. Cela n’a aucun sens ni aucune efficacité au regard de la prévention des risques.
La seule et unique solution pour assurer un maximum de sécurité face à la drogue et l’alcool, c’est de pratiquer immédiatement un dépistage sur site. C’est d’ailleurs ce que fait la quasi-totalité des entreprises avec lesquelles nous travaillons. Les dépistages se font directement sur les chantiers ou les parkings, à l’aide de tests salivaires. Une solution simple, rapide et efficace.
inforisque.fr : Que conseillez-vous aux entreprises qui font face à un problème de consommation d’alcool ou de drogue ?
F.R. : Surtout, ne pas faire l’autruche ! Eluder ou refuser de voir le problème ne résoudra rien. De plus, en cas d’accident, la prise conscience risque d’être très douloureuse. La meilleure façon d’agir, c’est de prendre le problème avec méthode, et lorsque la situation le nécessite, de s’équiper avec le matériel de dépistage adéquat.
Les entreprises installent bien des extincteurs contre le risque incendie. Désormais, il existe des extincteurs contre le risque alcool et drogue : les éthylotests et les tests salivaires.
Pour plus d’information : NarcoCheck
Voir la liste des solutions liés aux addictions (tabac - alcool - drogue) proposée par inforisque.fr.
BD-33 le :
J’ai lu avec intérêt votre présentation du problème de la drogue en entreprise, et pour cause, nous y sommes nous-mêmes confrontés très régulièrement. C’est très préoccupant parce que nous nous sentons démuni face à ce problème qui pose de réels soucis de sécurité sur nos chantiers.
Je me pose simplement une question : est-ce que dépister un employé est contraire aux principes de protection de la vie privée ? Après tout, un salarié qui fume un joint chez lui, ça le regarde. Mais s’il est controlé positif au travail alors qu’il avait fumé la veille, c’est une atteinte à sa vie privée, non ?
NarcoCheck le :
C’est une excellente question, que l’on nous pose souvent, et qui suppose deux types de réponse : d’un point de vue technique et d’un point de vue légal.
Donc, une personne qui fume un joint à minuit et qui embauche le lendemain à 6 heures du matin ne sera pas positive au test salivaire. Dès lors, il n’y a pas d’atteinte à la vie privée car cette personne ne pourra pas être sanctionnée pour ce qu’elle a fait hors du travail. Un test salivaire positif suppose une consommation très récente, et donc, qui aura eu lieu pendant les heures de travail.
L’employeur doit « prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelles ».
Cela veut dire qu’en aucun cas, la protection de la vie privée individuelle d’un salarié ne peut prévaloir sur l’impératif de protection collective de l’ensemble des salariés. Or, quand une personne occupant un poste de sureté et de sécurité fume un joint ou prend de la cocaïne, elle met clairement en péril la sécurité collective de l’ensemble du personnel et du public.