Blanchisserie - #balancetonrisque

L'analyse de l'expert

" Être dans de beaux draps, c’est assurément de cette vidéo que vient l’expression (rires).

Lorsqu’on évalue les risques en blanchisserie, on pense immédiatement aux risques bactériologiques (apportés par le linge souillé), chimiques (détergents) et aux troubles musculosquelettiques ou TMS (le linge mouillé gonfle et est beaucoup plus lourd que lorsqu’il est sec). Le risque mécanique est généralement considéré comme faible car les équipements sont protégés et asservis …

Mais ici, c’est pourtant bien d’un risque mécanique qu’il s’agit : le happement (enroulement / emprisonnement) qui se rencontre plus fréquemment dans d’autres secteurs (comme le BTP par exemple).

De quoi s’agit-il ?

Dans une blanchisserie industrielle, la victime extraie du linge d’un tambour de machine à laver qui tourne à petite vitesse. La machine est plus haute que lui.

Rapidement, il en sort un bloc de draps entremêlés entre eux qu’il essaye alors de séparer, en vain.

En tirant sur les draps, le phénomène de rotation (continue et lent) entraine un enroulement progressif des draps autour du bras de la victime (on peut imaginer une compression progressive qui se passerait dans une vis sans fin conduisant à un garrot).

5 secondes après le début de l’enroulement, son bras est totalement coincé. Il tente alors d’arrêter la rotation en essayant d’atteindre le panneau de commande. Sans succès car la force de la rotation l’en éloigne.

A 15 secondes, c’est le haut du corps qui se trouve enserré. Il se débat mais on voit que ses forces s’amenuisent.

A 30 secondes, il ne bouge plus (peut-être que son cou ou sa cage thoracique ont commencés à être comprimés).

Heureusement, 2 collègues arriveront l’un après l’autre, ralentiront la rotation et extrairont (avec difficulté tout de même) la victime qui s’en sort bien sonnée mais vivante. Ouf !

Questions à se poser pour réduire le risque ?

Basé sur les directives machines, comment se fait-il que :

• le tambour puisse tourner avec une porte ouverte (n’y a-t-il pas eu contournement d’un système de sécurité [contacteur] ?) ?
• le processus pour arrêter la rotation nécessite de toucher plusieurs boutons (ne devrait-il pas y avoir un bouton d’urgence accessible [il est peut-être shunté …]) ?
• le panneau de commande ne soit pas à hauteur d’homme ? (outre son obligation, c’est déjà simplement du bon sens)

Si la réalité devait révéler qu’il n’y ait pas eu d’action humaine malveillante, j’affirmerai qu’il ne s’agit pas d’un équipement CE. La maîtrise du risque doit se penser dès la conception de l’équipement de travail et considérer les situations normales mais pas uniquement … Il y a un « gap » ici.

On peut aussi s’interroger sur l’aspect formation au poste et gestion des situations d’urgence :

• la victime a naturellement tenté de se dégager avant d’arrêter la rotation. En formation secouriste, on nous apprend à d’abord se protéger avant d’agir. Mais le savait-il ? Avait-il été formé à l’opération de vidange et, surtout, aux risques liés ?
• de même, le 1er collègue essaie d’abord d’intervenir avant de couper la rotation. En 5 secondes (si on se base sur la vidéo), il aurait pu, lui aussi, être happé. 1+1 = 2 victimes !
• vu la rapidité et l’aisance de la réponse du 1er « secouriste », on peut penser qu’il connait le risque et qu’il sait y répondre mais il démarre dans le mauvais ordre quand même. Y a-t-il eu capitalisation de ce savoir ?
• …

Il aurait été intéressant de savoir si les draps étaient secs ou encore humides pour affiner l’analyse (un drap humide aurait probablement entraîné une compression plus importante à mon avis).

En post-accident, un contrôle médical sera nécessaire. Les phénomènes de compression ont souvent des conséquences graves. Il s’agira de vérifier qu’aucun organe / vaisseau / nerf n’a été endommagé ce qui pourrait induire, par exemple, une perte de dextérité.

Pour conclure, je suis heureuse de n’avoir jamais eu à rencontrer cette situation dans les 4 ans et demi où j’ai géré les risques professionnels de l’atelier blanchisserie d’un pôle ESAT normand (QHSE / direction). Je ne l’ai pas non plus imaginé car les travailleurs en situation de handicap traitaient des volumes moindres dans des équipements plus modestes. Mais surtout, tout nouvel opérateur était formé au poste de travail, les risques étaient expliqués, les équipements étaient conformes CE, vérifiés et entretenus… Cette vidéo leur fera un bon cas d’école pour re-sensibiliser les ouvriers d’ESAT et capitaliser sur ce risque lors de la mise à jour annuelle du DUERP. "

Le concept #balancetonrisque

Le concept #balancetonrisque est un partage à visée pédagogique créé par Inforisque. Tous les jeudis, retrouvez dans la lettre du risque une vidéo commentée et analysée par un expert HSE.