Un nouveau risque lié au travail moderne
Smartphones, tablettes, ordinateurs portables… Nos outils numériques facilitent la communication et le suivi des projets, mais leur utilisation répétée et prolongée entraîne un phénomène bien connu : le “tech neck”, ou cou technologique.
Il s’agit des douleurs et tensions cervicales provoquées par la posture penchée en avant adoptée lorsque l’on consulte un écran tenu trop bas.
En tant que kinésithérapeute-ostéopathe et ancien sportif de haut niveau, j’ai pu observer que ce type de contraintes biomécaniques touche aussi bien les athlètes que les salariés. La différence ? Les sportifs, mieux préparés et plus sensibilisés, corrigent plus vite leur posture. Dans l’entreprise, la prise de conscience arrive souvent trop tard, quand la douleur s’installe.
Selon une étude publiée dans Surgical Technology International (Hansraj, 2014), incliner la tête à 60° augmente la charge sur la colonne cervicale jusqu’à 27 kg — soit l’équivalent d’un enfant de 8 ans posé sur vos cervicales, plusieurs heures par jour.
Pourquoi notre cerveau “ignore” souvent les signaux de tension ?
Lorsque nous sommes concentrés sur notre smartphone, le cerveau se focalise sur les informations visuelles et auditives émises par l’écran. Cette attention intense active des circuits de récompense, notamment par la libération de dopamine, le neurotransmetteur associé au plaisir et à la motivation.
Pendant ce temps, les signaux indiquant inconfort ou mauvaise posture sont relégués au second plan. Il s’agit d’un mécanisme adaptatif : lorsque notre attention est captée par une activité jugée prioritaire ou stimulante, le corps envoie ses alertes plus tard.
D’autres neurotransmetteurs, comme la noradrénaline et la sérotonine, interviennent également dans la régulation de l’attention, de l’humeur et de la perception de la douleur. En situation d’hyperstimulation sensorielle, l’énergie disponible pour percevoir la position et l’état de nos muscles (proprioception) est réduite, ce qui explique pourquoi nous restons souvent longtemps dans une posture contraignante sans nous en rendre compte.
Des conséquences bien réelles pour les salariés
Incliner la tête de 30 à 60° multiplie par 3 à 5 la charge exercée sur les cervicales. Sur une journée de travail, ces contraintes répétées finissent par peser lourd.
Les troubles les plus fréquents :
- douleurs cervicales et épaules contractées,
- céphalées de tension,
- torticolis récurrents,
- risques de névralgies et, à terme, d’arthrose cervicale précoce.
Au-delà de l’aspect médical, cela signifie pour l’entreprise baisse de concentration, absentéisme et perte de performance collective.
D’après Santé publique France (2024), près de 6 actifs sur 10 déclarent souffrir de troubles musculo-squelettiques, dont les douleurs cervicales liées aux écrans font partie des plus fréquentes.
Prévenir le Tech Neck en entreprise : 3 leviers simples inspirés du sport
Sur le terrain sportif comme en entreprise, la prévention passe par des gestes simples mais réguliers.
1. Aménager les postes numériques
- Surélever smartphones et tablettes.
- Utiliser bras articulés ou stations d’accueil pour ordinateurs portables.
2. Instaurer des pauses actives
- 2 minutes toutes les 20 minutes.
- Proposer une mini-routine inspirée de la préparation physique :
- rotations lentes des épaules,
- extension douce du cou,
- auto-grandissement type ELDOA.
3. Promouvoir la posture dynamique
- Alterner assis, debout, en mouvement.
- Encourager le même principe que dans l’entraînement sportif : la meilleure posture est toujours celle qui change.
Exemple de routine express anti-“Tech Neck” – version Cinésis
Pour limiter les tensions cervicales et protéger le dos au travail, voici un mini-circuit express de 2 à 3 minutes, inspiré des méthodes de préparation physique et de kinésithérapie. Il peut être réalisé plusieurs fois par jour, au bureau ou sur chantier, et ne nécessite aucun matériel.
- Auto-grandissement dynamique – 30 secondes
Debout ou assis, imaginez un fil tirant le sommet de votre tête vers le plafond, menton légèrement rentré. Ce geste engage la colonne et active la posture profonde. - Extension cervicale combinée – 5 répétitions
Depuis la position assise ou debout, levez doucement le menton vers le plafond tout en ouvrant légèrement la poitrine. Cette combinaison mobilise les cervicales et détend les trapèzes. - Rotation épaules/nuque fluide – 5 rotations par côté
Effectuez des rotations lentes et contrôlées des épaules et de la nuque pour relâcher les tensions accumulées. Respirez profondément à chaque mouvement pour augmenter l’effet relaxant. - Étirement “cobra express” – 20 secondes
Allongé sur le ventre ou appuyé sur un bureau, relevez doucement le buste en poussant sur vos avant-bras. Étirez le thorax et la colonne dorsale en gardant le cou relâché.
Conseil pratique : Intégrez ce mini-circuit à un geste quotidien : lors d’un appel, en attendant un café ou entre deux réunions. Même quelques répétitions rapides toutes les heures permettent de limiter les tensions et de réactiver la posture.
Astuces pour un usage plus ergonomique du smartphone
- Gardez une distance adaptée entre vos yeux et l’écran : environ 40 à 50 cm. Certains smartphones permettent de configurer des alertes si l’écran est trop proche.
- Faites des micro-pauses fréquentes : levez-vous ou étirez-vous 2 minutes toutes les 20 minutes d’utilisation intensive.
- Réglez luminosité et contraste : un écran trop lumineux ou trop sombre fatigue les yeux et accroît les tensions cervicales.
- Positionnez l’écran à hauteur des yeux : utilisez un support ou un bras articulé pour limiter l’inclinaison de la tête.
- Bougez régulièrement : alternez les positions assis/debout, marchez en téléphonant et intégrez des étirements courts dans votre routine.
Le rôle clé des préventeurs et managers
Comme dans une équipe sportive, la prévention ne repose pas que sur l’individu mais sur le collectif. Les managers et préventeurs sont les “entraîneurs” de cette démarche :
- organiser des temps de sensibilisation,
- intégrer des pauses de récupération dans les habitudes,
- afficher des rappels visuels (pictogrammes, infographies simples).
Ces actions renforcent la performance durable : moins de douleurs, plus de confort, meilleure concentration.
Conclusion & perspectives
Le Tech Neck illustre parfaitement les nouveaux enjeux de santé liés à l’usage intensif des outils numériques. En adoptant des gestes simples et des habitudes régulières, il est possible de préserver la santé des salariés, de la même manière qu’on prend soin des athlètes en préparation.
Pour approfondir ce sujet, une formation spécifique “Prévenir le Tech Neck” est accessible sur la plateforme Inforisque. Elle propose des solutions concrètes, basées à la fois sur l’expérience en entreprise et sur les méthodes de préparation sportive de haut niveau.
Cinésis est fière d’avoir développé l’une des premières formations en France entièrement dédiée à cette problématique, déjà disponible sur Inforisque.
Références
- Hansraj KK. Assessment of stresses in the cervical spine caused by posture and position of the head. Surgical Technology International, 2014.
- Santé publique France. Troubles musculo-squelettiques : données épidémiologiques en France. 2024.
- AlAbdulwahab SS et al. Smartphone use addiction can cause neck disability. BMC Musculoskeletal Disorders, 2017.