Des risques psychosociaux à la qualité de vie au travail

Le concept de qualité de vie au travail, né dans les années 1970, n’a pas encore d’impact en termes d’obligations juridiques de l’employeur. Toutefois les juges, de plus en plus attentifs aux problématiques de santé mentale des salariés, pourraient bien s’emparer un jour du sujet et créer un droit à la qualité de vie au travail. Mais de quoi parle-t-on ?

Les Cahiers Lamy du CE : que faut-il entendre par qualité de vie au travail, y a-t-il des critères objectifs de qualité de vie au travail ?

Bruno Lefebvre : La qualité de vie au travail est un concept d’origine anglo-saxonne qui a émergé des théories des organisations dans les années 70. L’intérêt en France pour le sujet de la qualité de vie au travail est récent.

Le référentiel synthétisé par l’Anact en 2007 place en premier les « relations sociales » dans le champ de la qualité de vie au travail. Le contenu du travail vient tout de suite après (autonomie, variété des tâches…).

Ces « relations sociales » « doivent être examinés en lien avec les concepts de justice et de reconnaissance » et notamment au regard de la notion de justice organisationnelle qui recouvre trois dimensions :

  • la justice distributive : cela désigne « l’équité perçue des résultats ou allocations qu’un individu reçoit ». La justice distributive consiste dans le fait qu’un collaborateur, comparant le ratio entre ses contributions et ses rétributions à celui d’autres collègues placés dans la même situation que lui, estime son traitement équitable par rapport à celui de ses collègues ;
  • la justice procédurale : est-ce que je comprends les critères d'attribution d’avantages, la manière dont les décisions sont prises ? Il s’agit de l’application égale pour tous des procédures relatives à la distribution des obligations et des récompenses, dans le fait que ces procédures ne sont pas marquées de préjugés, qu’elles s’appuient sur des informations exactes et critères pertinents et qu’elles correspondent à l’éthique actuelle de l’entreprise.

Pascale Lagesse : Les différentes méthodes d'évaluation des salariés mises en œuvre dans les entreprises tentent du reste de s’imprégner de cette notion de justice procédurale, c’est-à-dire être pertinentes et transparentes afin que les salarié comprennent les objectifs qui leur sont attribués. La jurisprudence a en effet tendance à remettre en cause les méthodes d’évaluation susceptibles de porter atteinte à la santé des salariés.

BL : La troisième dimension, c'est la justice interactionnelle : elle comprend une « justice relationnelle » qui implique la perception d’un traitement avec respect et dignité et une « justice informationnelle » qui implique la fourniture d’informations et d’explications fiables, sur les raisons des procédures mises en place.

Par exemple, est-ce qu’il m'a été envoyé un mail lapidaire ou ai-je reçu une explication. Mes réactions ont-elles été prises en compte ?

PL : Cette idée de justice interactionnelle laisse entendre que le concept de qualité de vie au travail est donc empreint de subjectivité. C'est un vécu, un perçu.

BL : Oui, la reconnaissance à laquelle cette justice interactionnelle fait écho est, elle aussi, éminemment subjective. Pour certaines personnes, il n’est pas nécessaire de leur dire que leur travail est bien ou mal fait, ils s'autogèrent, s'autocritiquent, s'auto-congratulent parfois.

A l'inverse, pour d’autres, l’absence ou l’insuffisance de félicitations, de compliments, de critique constructive, les atteint davantage.

PL : C’est là que réside toute la difficulté pour appréhender cette notion. Les partenaires sociaux, qui ont engagé à l’automne 2012 des négociations sur le thème de la qualité de vie au travail, n’ont pas manqué de relever ce point. Reprenant les conclusions d’une délibération du 13 juin 2012 qui fait l'état des lieux de la qualité de vie au travail, ils considèrent en effet que la notion renvoie à des éléments multiples, en partie subjectifs relatifs à chacun des salariés, mais aussi objectifs qui structurent l'entreprise.

BL : Les partenaires sociaux précisent d’ailleurs que « les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte».

La différence d’une subjectivité à l’autre est bien là, puisque certains salariés sont frugaux, se contentent de peu alors qu’au contraire, d’autres ont des conditions de travail de qualité et sont perpétuellement insatisfaits.

PL : Pour mieux comprendre la notion de qualité de vie au travail, il est intéressant de se référer au projet d’accord issu des premières négociations des partenaires sociaux du 30 octobre 2012, dans lequel on trouve un début de définition. Elle est conçue comme : « un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l'ambiance, la culture de l'entreprise, l'intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d'implication et de responsabilisation, l’égalité et l’équité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué ».

BL : On trouve aussi une définition très large de la santé par l'Organisation Mondiale de la Santé (1946) : « un état de complet bien-être physique, mental et social » et la charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (1986) précise que pour parvenir à cet état « l’individu ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter ».

Il est donc impossible de se contenter d’une vision objectiviste et statique de la qualité de vie au travail : c’est une réalité qui doit être revue en permanence, reconstruite, renégociée en fonction de l'évolution des situations et des personnes…

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Propos recueillis par Valérie Merlin, rédactrice en chef, pour Les Cahiers Lamy du CE, n°125, avril 2013.

Auteurs : Pascale Lagesse, Avocat associé Cabinet Bredin Prat et Bruno Lefebvre, Psychologue clinicien, Enseignant (HEC, Centrale-Paris), Associé fondateur d’AlterAlliance
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