Alors que les entreprises peinent encore à recruter et à fidéliser leurs équipes, un enjeu émerge avec une urgence nouvelle : la santé psychologique au travail. Derrière les indicateurs SST, ce sont des histoires humaines d’épuisement, de violence et de silence qui se jouent chaque jour.
D’un accident personnel à un combat collectif
Avant de devenir une référence en prévention des risques psychosociaux, Andréanne Degrâce a d’abord expérimenté les angles morts de la santé et sécurité du travail. Des blessures aux poignets la poussent à se former en SST, puis à occuper des fonctions clés en prévention.
La suite est brutale : malgré son expertise, elle vit deux arrêts de travail pour épuisement professionnel. À l’époque, la détresse psychologique se tait et les retours au travail se font dans le non-dit. Le décalage entre les discours de prévention et la réalité vécue devient pour elle impossible à ignorer.
Cette épreuve agit comme un déclic. Degrâce décide de s’attaquer à ce qui n’apparaît pas dans les registres d’accidents, mais détruit pourtant des carrières et des vies : le stress chronique, la violence, l’isolement, les conflits persistants. En 2022, l’intégration des risques psychosociaux dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) confirme cette urgence. Elle fonde alors EVERESST, entreprise spécialisée dans l’accompagnement des organisations sur ces enjeux.
Les risques psychosociaux, nouvelle frontière de la sécurité au travail
Pour la fondatrice d’EVERESST, les risques psychosociaux doivent être gérés avec la même rigueur que les risques physiques. Ils ne sont ni secondaires ni “soft” : ils ont des répercussions majeures sur la santé mentale, les familles, les équipes et la performance globale.
Ils regroupent notamment :
- le harcèlement psychologique ou sexuel;
- la violence en milieu de travail;
- la violence conjugale ou familiale qui se répercute au travail;
- l’exposition à des événements potentiellement traumatiques.
Un risque psychosocial mal géré peut faire basculer un employé dans l’anxiété, la dépression ou le burn-out, avec parfois des issues dramatiques. Certains pays européens, comme la France, commencent à documenter plus finement ces situations. Au Canada, les données restent insuffisantes, ce qui contribue à minimiser le problème.
Degrâce rappelle que la bonne question n’est pas « faut-il s’en occuper maintenant? », mais « quel est le niveau réel de criticité de ces risques chez nous? ». Tant qu’ils ne sont pas identifiés et mesurés, ils agissent en profondeur sur l’absentéisme, la rotation du personnel et la difficulté à recruter.
Une démarche structurée pour analyser et maîtriser les risques
Lorsqu’elle intervient dans une organisation, la première chose qu’Andréanne Degrâce vérifie est l’engagement de la direction. Sans soutien clair du sommet, prévient-elle, l’exercice se résume à un rapport de plus qui finira à prendre la poussière.
Deuxième prérequis : établir une compréhension commune de ce qu’est un risque psychosocial. Le terme est parfois utilisé pour tout et n’importe quoi. Il faut donc clarifier le vocabulaire pour que gestionnaires, RH, représentants SST et équipes partagent le même référentiel.
Une fois ces bases posées, elle déploie une démarche en quatre grandes étapes :
- Planifier et identifier les besoins afin de bâtir un plan stratégique adapté au contexte;
- Préparer les interventions et accompagner le changement pour installer un climat de confiance;
- Conduire l’analyse selon un plan d’action défini, en croisant données de terrain et indicateurs;
- Produire un rapport assorti de recommandations priorisées : formations, ajustements de climat, révision de certaines pratiques de gestion.
L’objectif est de transformer un sujet perçu comme flou ou “émotionnel” en un chantier de prévention structuré, avec des responsabilités et des échéances.
Managers en première ligne : un rôle décisif dans la prévention
Pour Degrâce, les gestionnaires se trouvent au cœur du dispositif. Ils peuvent être des vecteurs puissants de protection… ou, sans le vouloir, des générateurs de risques. D’où l’importance de les former à reconnaître les situations problématiques et à ajuster leurs pratiques.
La charge de travail est-elle réaliste? Les attentes sont-elles claires? Les décisions sont-elles expliquées? Les équipes ont-elles un espace pour signaler un malaise sans crainte de représailles? Autant d’éléments qui influencent directement la sécurité psychologique.
Une aide externe impartiale peut s’avérer utile pour dresser un portrait honnête du climat de travail et soutenir la mise en place de mesures parfois déstabilisantes pour les habitudes en place.
À terme, la spécialiste en est convaincue : l’avenir de la SST passera par une intégration pleine et entière de la santé psychologique. Plus les entreprises miseront sur la prévention des risques psychosociaux, moins elles auront à gérer des crises humaines et juridiques coûteuses. La sécurité au travail ne se joue plus seulement dans les ateliers et les entrepôts, mais aussi dans les conversations, les décisions et la culture managériale de tous les jours.
Auteur : Inforisque.Lire l'interview : Andréanne Degrâce : les risques psychosociaux au premier plan de la SST.
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